Cahier critique 12/02/2020

"Guy Moquet" de Demis Herenger

Dans la cité aussi, le romantisme existe !

Ce mois de mai 2015 marque les vingt ans de La haine, présenté à Cannes et médiatisé avec une ampleur qui débordait le seul domaine du cinéma. Le “film de 6T” naissait et la postérité du brûlot de Kassovitz s’est révélée considérable. Dans le court métrage, des centaines de films ont alimenté cette veine, embrassant tous les genres.
Le registre de la comédie a souvent été osé, comme l’illustrent les récents Fais croquer et Molii. Une comparable volonté de faire rire – mais pas uniquement – s’exprime avec Guy Moquet.

Tout le sel du film tient d’abord à ses dialogues, dont la tonicité découle directement d’une démarche d’improvisation. Mais tout aussi subtil est le décalage ouvert par le personnage principal envers des stéréotypes désormais usés jusqu’à la corde. Appelons Guimo – en laissant à chacun le plaisir de découvrir in fine le pourquoi du titre – ce jeune black attachant qui bat en brèche les poncifs inhérents à la masculinité dans cet éco système bétonné ; Guimo aspire, en effet, à faire quelque chose qui ne se fait pas. Il ne cache jamais ce qu’il ressent et se fiche même du qu’en-dira-t-on qui règne en maître au cœur de cette micro-société ultra-codée (ce qu’une séquence axée autour du point de vue des filles résume avec humour, tout en n’escamotant pas la réalité puritaine – et glaçante – de leurs jugements).

L’enjeu est celui d’un rêve romantique, qui n’a plus cours en ces zones asphyxiantes et privées d’horizon :
Guimo veut embrasser Ticky, devant tout le monde et en plein jour, au milieu du lac (plus précisément un terne réservoir), “comme dans les films”. Pour la beauté du geste. Et il se heurte à une foule d’hostilités, qui tiennent, en un mot, à l’honneur.
Le sien, celui de la jeune fille et celui de l’organisation sociale installée. Un équilibre relatif, bâti sur le paraître.
Les hommes, si jeunes soient-ils, doivent jouer les durs, pleurer représentant la honte ultime. Et les “bandes de filles” de checker virilement du poing et de multiplier les mots orduriers… Cette ritualisation poussée à l’extrême en devient oppressive et absurde (voir l’échange autour du mot “négro” avec le caïd local) ; et le film trouve ainsi une tonalité politique, moquant les blocages mentaux de toute nature.

Christophe Chauville

Article paru dans Bref n°115, 2015.

Réalisation et scénario : Demis Herenger. Image : Julien Perrin et Renaud Hauray. Montage : Demis Herenger et
David Jungman. Son : Mikaël Barre et Samuel Ripault. Musique originale : Stéphane Damiano. 
Interprétation : Teddy Lukunku, Samrah Botsy et Éric Botsy. Production : Baldanders Films.

Entretien avec Demis Herenger - Académie des Césars :