Cahier critique 05/06/2019

“Grand huit” de Cyril Collard

De premières nuits fauves pour Cyril Collard.

Doit-on encore présenter Cyril Collard, vingt-six ans après sa mort ? Peut-être, oui, après tout, tant l’auteur précocement disparu d’un seul long métrage au succès public et critique considérable (Les nuits fauves, adapté de son propre roman, en 1992, et récompensé par plusieurs César) est de ces cinéastes dont l’aura, la destinée tragique et l’image dépassent l’œuvre, finalement assez méconnue dans sa globalité et, de fait, principalement familière à celles et ceux, quadragénaires pour la plupart, qui furent les contemporains de pareille déflagration.

On doit à Cyril Collard trois courts métrages marquants, dont ce Grand huit puis Alger la blanche qui annonçaient un style fiévreux, vibrant, une manière de diriger les acteurs probablement héritée de Maurice Pialat dont il fut l’assistant sur Loulou, sur À nos amours (où il joua aussi) et sur Police.

Grand huit, son premier film, est bien à resituer dans cette ascendance (il est terminé peu ou prou quand À nos amours sort en salles), tout en évoquant aussi, plus souterrainement, le romantisme écorché vif de films de Gérard Blain dont il est le contemporain, en même temps qu’il anticipe le lyrisme avec lequel un Jean-Claude Brisseau filmera, quelques années plus tard, la banlieue pré-rap de De bruit et de fureur.

Car Grand huit, c’est peut-être l’essentiel, est un mélodrame résolument premier degré, une œuvre maladroite parfois, impétueuse et juvénile souvent : un vrai premier film en somme où la mise en scène, quand elle se fait outrageusement volubile (les mouvements d’appareil un rien volontaristes de la course-poursuite liminaire), traduit surtout le désir ardent d’un nouveau venu dans le septième art de s’exprimer via caméra et acteurs.

Sous les néons de la Foire du Trône, se trame alors un drame dont les échappées en rollercoaster ou sur les banquettes de la grande roue ne feront que retarder l’inéluctable. Parenthèse désenchantée, la rencontre entre Laurent, le petit loubard, et Sylvia, la pute magnétique (sublime Catherine Gandois qu’on aurait aimé revoir plus souvent sur les écrans), se pare des reflets en toc d’un royaume d’artifices où le tir à la carabine se fera in fine “à balles réelles”.

À bien des égards, en ce début des années 1980, un tel film – à côté de longs métrages comme Désordre d’Olivier Assayas, Boy Meets Girl de Leos Carax ou La nuit porte-jaretelles de Virginie Thévenet – participait de l’émergence d’un “jeune cinéma français” que l’on envisagera ensuite, quand passeront du court au long quelques années plus tard des cinéastes tel Éric Rochant, Christian Vincent ou Laurence Ferreira-Barbosa, en véritable courant…

Ajoutons que, durant sa courte carrière, Cyril Collard demeura fidèle à certains de ses collaborateurs sur Grand huit. Daniel Barrau, à qui l’on doit la lumineuse restitution de l’ambiance nocturne de la fête foraine sera ainsi son chef opérateur sur ses deux autres courts métrages. Et l’on retrouvera René-Marc Bini, le compositeur, au générique des Nuits fauves, film qui valut à ce dernier une nomination aux César. 

Quoique fermement arrimés à leur époque (leur force alors, leur limite aujourd’hui), nous ne sommes pas prêts, nous, d’oublier les films de Cyril Collard…

Stéphane Kahn

Réalisation et scénario : Cyril Collard. Image : Daniel Barrau. Montage : Danielle Fillios. Son : Pierre Lorrain. Musique originale : René-Marc Bini. Interprétation : Catherine Gandois, Mathieu Barbey, Féodor Atkine, Norbert Letheule, Tayeb Ayadi, Alain Dachary, Richar Roumec et Gilbert Berger. Production : Lumar films.