Cahier critique 31/07/2019

“Goliath” de Loïc Barché

L’amour 2.0 donne des ailes.

Dans une vidéo amateur, un homme vu de dos saute d’un plongeoir dans une piscine. “Elle est plutôt bien, celle-ci…” dit Cédric (Phénix Brossard). Le problème, c’est que ce n’est pas son ami Nicolas (Swann Arlaud) sur ces images, mais un leurre. Cette supercherie est sur le point d’être publiée sur un réseau social pour tenter d’attirer l’attention d’une fille, qui restera constamment hors champ : Charlotte. Plus tôt, lors d’une soirée, Nicolas et Cédric mettent sur pied un plan à base d’algorithmes couplé à un débit de paroles outrageusement soutenu et technique, qui peut faire allusion à l’introduction hyperactive de The Social Network de David Fincher (2010) – qui retrace la genèse de Facebook.

Les deux amis se dirigent vers une plage inhospitalière, aux teintes assombries photographiées par Victor Seguin, le temps est pluvieux et au milieu, planté dans l’eau, le fameux Goliath (un immense plongeoir silencieux ancré dans la mer, mis en scène comme un monstre métallique à dompter). Nicolas va devoir sauter pour publier son exploit, mais tout ne se passe pas comme prévu. Une fois en haut de la plateforme, il ôte sa combinaison de plongée, se met à nu pour ainsi dire, et se heurte à une réalité concrète. La théorie se retrouve cruellement déconstruite par le réel. La réalisation ingénieuse de Loïc Barché fonctionne sur différents régimes: le champ/contrechamp tout d’abord, lors des explications du prologue (aussi fixe et précis que la formule d’un algorithme), mais se trouve rapidement bousculée face au vide (plongée zénithale). La caméra accompagne les hésitations des deux figures et ainsi, la mise en scène se retrouve aussi ébranlée que la certitude des personnages.

Le véritable sujet de Goliath – sélectionné pour le César du meilleur court métrage en 2018 – s’inscrit dans le caractère friable des images. La première fois que l’on devine ce Goliath, c’est à travers l’écran de téléphone de Cédric, c’est-à-dire à travers une image tronquée. Dans la narration, des images fixes – que l’on imagine être les photos de profil de la bien aimée – viennent s’incorporer comme une agglomération de pixels, une abstraction. “C’est vraiment une montagne, Charlotte.” ; c’est surtout un trou, une béance.

Comme dans le long métrage de David Fincher, le film se termine sur une page internet qu’il faut rafraîchir pour éventuellement glaner de nouveaux “likes”. Autant d’espérances qu’il faudrait constamment réactualiser. Goliath s’érige alors comme un véritable récit sur le courage maladroit et les actes empreints d’un romantisme désuet, mais aussi sur l’illusion et la désillusion qui s’ensuivent.

William Le Personnic

Réalisation et scénario : Loïc Barché. Image : Victor Seguin. Montage : Pierre Deschamps.
Son : Jules Valeur, Corinne Dubien et Victor Praud. Interprétation : Swann Arlaud et Phénix Brossard. 
Production : Punchline Cinéma.