"Gambozinos" de João Nicolau
Le nouveau cinéma portugais entre rap et slow.
Il aura suffi d’un Apichatpong Weerasethakul pour que l’irruption d’une créature imaginaire au sein d’un univers à dominante réaliste n’apparaisse plus comme incongrue.
L’espèce de primate de Gambozinos, né la nuit au cœur d’une forêt profonde sous le regard d’un jeune garçon, avant qu’ils ne s’éloignent se tenant par la main, fait surgir plus ou moins distinctement de nos mémoires – en nous révélant à quel point ils sont demeurés prégnants – des souvenirs qui entremêlent le yéti qui protège Tchang dans Tintin au Tibet, un homme-arbre, toutes les peluches de nos enfances jusqu’à Chewbacca, le wookiee de La guerre des étoiles.
En imposant d’emblée cette créature, qui pourrait aussi bien être née de l’imagination de l’enfant, comme une présence tangible aux apparitions bienveillantes et décisives pour sortir celui-ci des mauvais pas, la mise en scène de João Nicolau nous dispense de nous poser de question sur sa réalité. Nous l’admettons avec le reste, les bougies qui se rallument à son passage, la présence d’une tarentule dans un coin de jardin dans la colonie de vacances, l’amour que le garçon porte à une jolie blonde à lunettes ou le culte voué au Marsupilami.
L’étrangeté émane plus de la conduite du récit, de l’autonomie des séquences, ponctuées à plusieurs reprises de fondus au noir, de la fixité de la majorité des plans et de la contemplation qu’ils induisent. Cette sorte d’inertie, qui renvoie à celle de la torpeur estivale, esquive une continuité classique qui aurait privilégié les liens de cause à effet. Plus suggérée qu’articulée, la fiction se livre avec des pistes inachevées, des trous, laissant ainsi à chaque moment sa plénitude, sa saveur particulière, son mystère parfois.
Aussi n’est-il pas facile de mettre des mots sur ce qui fait le charme de Gambozinos. Cela passe par la grâce de certains plans, le comique de certaines situations, mais tient surtout à l’art de restituer avec tendresse ce mélange, parfois risible, de maladresse et d’absolu, qui régit les amours enfantines.
Jacques Kermabon
Article paru dans Bref n° 108, 2013.
Réalisation et Scénario : João Nicolau. Image : Mário Castanheira. Montage : Telmo Churro and João Nicolau.
Son : Vasco Pimentel et Miguel Martins. Interprétation : Tomás Franco, Pedro Leitao, Isabel Portugal, Ana Sofia Ribeiro
et Paulo Duartre Ribeiro. Production : Les Films du Bélier.