Cahier critique 20/03/2019

“Frank-Étienne vers la béatitude” de Constance Meyer

Depardieu en convoi pas exceptionnel.

Avant Rhapsody, en 2015, puis, trois ans plus tard, La belle affaire, où Gérard Depardieu fait une apparition amicale en camionneur, le “monstre” avait déjà été dirigé par la jeune réalisatrice Constance Meyer dans Frank-Étienne ou la béatitude, présenté à la Mostra de Venise 2012. Ce film au noir et blanc posé apparaît dans un premier temps, davantage encore qu’une fiction, comme un documentaire sur son comédien principal. Un mythe, plus justement. Et une présence, une silhouette, cette “masse” si familière de l’écran français depuis cinq décennies.

Le premier plan du film, large, montre d’ailleurs celui qu’on reconnaîtrait entre mille près de sa voiture, stoppée en rase campagne au milieu de gigantesques pylônes de lignes à haute tension, ce qui pourrait être une image métaphorique de l’acteur dans le paysage du cinéma français. Et en le voyant, dans la continuité, souffler et émettre quelque borborygme en collant un curieux sigle sur sa portière, on se pense en terrain connu : la bête a bien du mal à incliner ainsi son imposante carcasse. Un autre plan le verra avancer vers nous, massif, avec plus de coffre encore que son véhicule de VRP (tentant de vendre des boîtes hermétiques de marque Cusilux, numéro un mondial en la matière !). Frank-Étienne Boulard s’approche, mais c’est bien Depardieu que capte l’objectif, la mèche vibrante. Pourtant, le portrait en abyme se voit dès lors pris à contrepied par Constance Meyer, qui décide de jouer avec cette fameuse part féminine que l’on a si souvent évoqué en parlant de l’acteur. Son personnage, qui apparaît cette fois enfin en propre, joue sur sa timidité, son indécision évidente, sa faiblesse non dissimulée (un coup de stress le fait saigner du nez). Une drôlerie s’immisce dans l’espace ouvert par le caractère de novice de ce Boulard qui n’a pas la grosse tête, débutant dans le métier de VRP après avoir été prof d’éducation physique, ce qui ne manque pas de piquant. Et la bonne idée de la distribution des rôles est d’avoir confronté ce maladroit à une pelote de nerfs explosivement campée par Marina Foïs, en maîtresse éconduite et prête à tout, jusqu’à kidnapper le clebs de son amant déplaisant. Alors, le film lorgne même vers le burlesque, où le langage des corps épouse l’esquisse d’une chorégraphie partagée – celle d’une vague – ou d’un échange de gifles digne du slapstick. Il y a pire moyen d’accéder à la béatitude, Gérard/Frank-Étienne ayant finalement des airs de créature pasolinienne, un fragment de Kleenex enfoncé dans la narine et flottant gracieusement au vent. 

Christophe Chauville

Réalisation et scénario : Constance Meyer. Image : Frederico Cesca. Montage : Anita Roth. Son : Jérôme Aghion. Production : B-O-X production.