Cahier critique 13/02/2024

“Folie douce, folie dure” de Marine Laclotte

Une balade dans le quotidien de plusieurs institutions psychiatriques, à la rencontre de personnes hors normes qui nous laissent entrer dans leur intimité.

Distingué du César 2022 du meilleur court métrage d'animation, Folie douce, folie dure, de Marine Laclotte, explore le quotidien d'un hôpital psychiatrique à travers un genre rare et singulièrement expressif : le documentaire animé. Dans son précédent film, Ginette, réalisé avec Benoît Allard, la cinéaste se faisait également portraitiste et documentariste, guidée par la voix d'une agricultrice qui se racontait : en petite-fille, en mère, en femme. Déjà, tout partait du son pour arriver à l'image.

Poursuivant cette exploration esthétique, Folie douce, folie dure évolue entre les différentes chambres de patients retirés pour un temps de la société. Le film est ainsi une auscultation intime des sentiments de ses personnages qu'il étudie depuis un son brut (une captation directe des échanges) vers un dessin gris-bleu qui traduit et renforce les expressions, gonfle les formes et les fait se dérouler telle une matière modulable à l'infini. Les corps, les visages, les courbes des mains et des joues, tout est souple, presque liquide parfois. Le dessin n'est pas un accompagnement du son, ni même son illustration, mais son ancrage, une ligne ininterrompue, sans cesse métamorphosée et en perpétuelle évolution, il place la sensibilité des malades au cœur de tout.

“Être en morceau. Ne pas faire un. Parce que le corps ne fait pas de limite.” Cette véritable souffrance, difficile à imaginer et, par causalité, à capter, est précisément mise en scène par ce morcellement du trait. Le film opère de fait un contre-isolement, dans son esthétique même, recollant les morceaux des sujets et des portraits esquissés. Les portions de corps et d'esprit forment un étoilement sensible, un miroir tendu du regard délicat de la cinéaste qui dévoile tendresse et douceur aux confins de la folie.

Entre les cris et les douleurs, les onomatopées, bégaiements et les rires, c'est tout un réseau confus de la communication qui se déploie. Des séquences plus analytiques viennent ainsi s'intercaler dans ce bazar, nécessaire car il avance au rythme des patients. Le personnel des institutions psychiatriques délivre alors une parole qui résonne d'un écho terrible puisqu'elle intervient à contrecoup, explicitant les formes rompues d'expression de désirs. S'achève alors une promenade avec ces beautés hors normes, liées à jamais par un même trait.

Arnaud Hallet

France, 2020, 18 minutes.
Réalisation et scénario : Marine Laclotte. Animation : Mathilde Parquet, Lisa Matuszak, Marine Laclotte et Clémence Bouchereau. Montage : Catherine Aladenise et Thomas Grandremy. Son : Camille Erder, Claude Clorennec, Flavien Van Haezevelde, Claire André, Elias Boughedir, Flavien Van Haezevelde et Adam Wolny. Production : Lardux Films et Folimage.