“Finale” de Stephan Castang
Le 15 juillet 2018, c’est la finale de la Coupe du monde. Un groupe de retraités suit le match à une maison de retraite. Pendant que la France affronte la Croatie, Chantal, François et Jean-Pierre vont vivre leurs dernières amours.
Chantal, François et Jean-Pierre sont un trio naviguant benoîtement entre lassitude et acharnement pour exister. Avant d’être caractérisés comme des “vieux”, ce sont surtout un mari, une femme et son amant – l’archétype fictionnel des contrariétés sentimentales par excellence –, tels des Jules et Jim du troisième âge. S’ils n’ont, a priori, pas l’âge des jeunes gens pris dans les tournoiements amoureux épuisants, ils en ont pourtant toute la fougue. Ce qui devrait être source de cohésion sociétale – la finale de la Coupe du monde de football 2018 entre la France et la Croatie – va peu à peu creuser le fossé générationnel et dévier vers une désunion nationale. Cette journée sera aussi le marqueur doucereux d’une valse des dernières fois.
Les corps des personnes âgées sont souvent délaissés, voire méprisés. On voudrait les enfouir sous le tapis, les mettre hors de notre vue, entassés dans les maisons de retraite. Rarement montrés au cinéma, ce sont des corps pluriels, qu’ils soient perçus comme une bizarrerie dans The Visit de M. Night Shyamalan, une anomalie dans Plan 75 de Chie Hayakawa, plus récemment, ou une lutte de chaque instant, dans Amour de Michael Haneke. Avec Finale, Stéphan Castang a le désir manifeste d’embrasser toutes les dimensions de la vieillesse, et aussi son versant plus joyeux et charnel. Dans un EHPAD, il filme les visages en gros plan comme des paysages sinueux affublés de chapeaux et de maquillage bleu-blanc-rouge pour l’occasion ; ces faciès racontent des parcours de vie, l’écoulement du temps et le poids des regrets.
Le réalisateur imagine alors une situation inversée où ces vieillards retrouveraient une certaine jeunesse outrancière et rebelle (dans la consommation récréative de drogue), mais seraient toujours frappés par la précarité et infantilisés par leurs cadets, quitte à être littéralement poussés vers l’extérieur. C’est dans une réalisation brute – proche du documentaire – et dans le mouvement que ces personnages âgés et cabossés avancent. Finale creuse les thèmes de prédilection de Stéphan Castang : la résistance morale contre les formes d’injustice et de déshumanisation pernicieuses de nos sociétés individualisées, à l’image de Panthéon Discount, cette acerbe dystopie médicale. Les seniors seraient cette population qui coûte de l’argent à la sécurité sociale, seulement envisagée sous le prisme économique et jamais humain. Le film préfère, au contraire, être à l’écoute des abîmés, des subsidiaires et des réfractaires, souvent en souffrance.
Si cette finale est une joie pour tout un pays, la liesse s’avère rapidement friable et teintée d’amertume puisque tout le corps social ne pourra pas goûter à cette ivresse passagère, enfermés dans les maisons de repos ou les commissariats. Un groupe à la marge, mais toujours le cœur battant.
William Le Personnic
France, 2020, 26 minutes.
Réalisation, scénario et montage : Stéphan Castang. Image : Jean-Baptiste Moutrille. Son : Maxime Gavaudan et Émilie Mauguet. Musique originale : John Kaced. Interprétation : Chantal Joblon, François Chattot, Jean-Pierre Kalfon et Marie-Josèphe Fauconnet. Production : Takami Productions.