"Filles bleues, peur blanche" de Lola Halifa-Legrand et Marie Jacotey
Un couple sur les routes de Provence. Nils conduit Flora chez ses parents pour la première fois quand ils tombent dans une embuscade. Alors qu’elle est faite captive, il s’enfuit. Dans la nuit de la pinède, elle se retrouve face à ses doutes.
Balade spectrale et fantasmatique dessinée aux crayons de couleurs, Filles bleues, peur blanche constitue le premier court métrage d’animation, réalisé à quatre mains, de Marie Jacotey et Lola Halifa-Legrand. Présenté comme un songe hallucinatoire aussi étrange qu’envoûtant, il s’était distingué par son entrée envenimée dans la sélection officielle du Festival de Cannes 2020.
Les réalisatrices explorent l’impact de la jalousie au sein du couple et interrogent les mécanismes à l’œuvre dans les relations : les histoires passées qui ne cessent de nous hanter, les sentiments conflictuels d’un amour passionnel, l’ambivalence des connexions féminines teintées de désir, de rivalité et parfois d’admiration. Il s’agit là d’une jalousie fantasmée, une pulsion irrépressible qui, ne se basant sur rien, s’immisce dans l’inconscient et, soudain, balaie toute certitude.
C’est ce qui arrive à Flora, l’héroïne du film, prise dans l’embuscade de ses propres peurs personnifiées. Elle voit défiler toutes les ex de son copain Nils : plus belles, plus indépendantes qu’elle, intrépides et magnifiquement désobéissantes. Des ex évidemment mystifiées, sorties de sa tête comme une manifestation du trouble qui la ronge. Flora ressent la force de l’amertume dans sa chair. Elles incarnent le spectre de l’intime, le remous de ses souffrances, une ombre au tableau. Les autrices s’intéressent ici au délire paranoïaque qui pousse les curseurs, embrase l’intensité des sentiments, exacerbe la violence. La sensation est puissante, portée par une bande sonore fractale où s’entrechoquent le Stabat Mater de Pergolesi et Le gouffre du groupe Bagarre.
La singularité picturale du film repose sur l’univers surréaliste de Marie Jacotey et tout ce qu’il contient de vénéneux. On retrouve dans le dessin une spontanéité du geste qui donne libre cours à l’imaginaire, aux symboles, aux images mentales. Pourtant, dans cette effervescence visuelle, aucun détail n’est laissé au hasard. Chaque fille se distingue de l’autre et se singularise avec précision. La superposition de différentes plans mis en abîme rythme l’ensemble et impulse une immersion chez le spectateur.
C’est en déployant une telle puissance évocatrice que les réalisatrices parviennent à offrir un récit si pulsionnel et instinctif. Elles captivent notre regard en illustrant la métamorphose de Flora, qui s’affranchit de sa paranoïa amoureuse comme une fleur du mal. Poussée dans ses retranchements les plus intimes, l’héroïne incarne à la fois l’histoire d’une subversion tranquille et d’un châtiment tonitruant.
Léa Drevon
France, 2020, 9 minutes.
Réalisation : Marie Jacotey et Lola Halifa-Legrand. Scénario : Lola Halifa-Legrand. Animation : Marie Jacotey, Léo Schweitzer, Jean Da Ros, Augustin Guichot, Kevin Manach, Ugo Bienvenu, Elie Martens et Simon Duong Van Huyen. Montage : Albane du Plessix. Voix : Clémence Boisnard, Pauline Chalamet, Esther Garrel, Lola Halifa-Legrand, Victor Le Blond, Frankie Wallach et Nina Zamzem. Production : Miyu Productions.