Cahier critique 14/04/2017

"Famouras" d’Amanda Robles

En immersion dans les alpages.

Une petite maison, perdue dans l’immensité des alpages, abrite un berger et sa famille. Vincent, Julie et leur petit garçon Robin vont vivre ici durant quatre mois, de juin à octobre. L’arrivée de la neige les obligera alors à redescendre dans la vallée, vers le confort et la sécurité.

Après dix années de gardiennage, l’assurance tranquille de ce jeune couple est palpable. L’arrivée de l’enfant dans ce dispositif d’altitude ne semble pas perturber profondément les règles de vie, si ce n’est que Julie ne peut plus accompagner Vincent et le troupeau dans la journée, mais doit rester à la bergerie avec Robin. Laisser son compagnon partir seul dans les alpages lui fait découvrir l’attente de son retour à la nuit tombante, et l’inquiétude qui en découle.

Pour ne rien perdre de ce qui pourrait se passer au même moment à la maison et dans les alpages, la réalisatrice confie à ses personnages la responsabilité de se filmer avec leurs téléphones en son absence. Un geste peu surprenant de la part de l’auteure d’une thèse sur Alain Cavalier, filmeur altruiste doué pour mettre ses personnages en lumière en leur donnant la parole et en magnifiant des voix jusqu’alors imperceptibles. Ici, Amanda Robles ouvre une autre voie en cassant la position “sacrée” du réalisateur-cadreur et estime avec humilité – et raison – que les images de ses personnages auront autant de poids que les siennes. Tout en étant en accord avec l’esprit du lieu, le procédé s’avère payant rapidement. Car sous l’apparente douceur de vivre de ce petit paradis verdoyant sourd une menace bien réelle : le loup, synonyme de danger pour les moutons, mais aussi pour les chiens et les hommes. Une tension et un suspense bien distillés au cours du montage permet au récit de tenir le spectateur en haleine : des premiers indices de la présence du prédateur – un cadavre de mouton égorgé, retrouvé dans une ravine et filmé par Vincent – à la vision de la bête sur une crête, entre chien et loup. Malgré la peur – il se met à hurler des ordres à ses chiens d’une voix haletante qui trahit sa panique –, Vincent a la présence d’esprit de filmer la scène. Il est en danger en tant qu’humain, mais aussi en tant que personnage ; le berger aguerri, taciturne et rassurant se mue soudain en homme effrayé, craignant pour ses animaux et sa famille. Une peur qui ne se transforme cependant pas en haine. Le respect, teinté d’admiration, pour l’animal sauvage est exprimé à plusieurs reprises dans le vif de l’action par Vincent.

Famouras parle avec simplicité de la vie et de la mort, et juxtapose de façon radicale des séquences qui en sont de parfaites illustrations : une chienne qui allaite ses petits suivie de l’annonce d’un vol de vautours à proximité, un agnelet plein de vie gambade dans les hautes herbes tandis que le cadavre gonflé d’un mouton est traîné sur un sentier poussiéreux, les vers blancs qui infestent une plaie côtoient un plan fixe – d’une beauté picturale parfaite – d’un rocher couvert de mousses multicolores et lumineuses, ou les notes enjouées d’un accordéon interrompues par les aboiements d’alerte des chiens à la nuit tombée.

Vincent et sa famille connaissent et acceptent les dangers de cette vie quasi sauvage. Ils semblent en revanche découvrir que  “famouras” – nom de ce lieu où ils vivent quelques mois chaque année – signifie “faire mourir”. Mais comme le dit Julie, cela aurait aussi pu signifier “faire l’amour”.

Fabrice Marquat

Réalisation et scénario : Amanda Robles. Image : Clarisse Barreau. Son : Audrey Ginestet. Production : Bobi Lux.

Ce film a été édité en DVD avec d'autres courts de la réalisatrice, chez L'Harmattan.