Cahier critique 19/03/2018

“Être vivant” d’Emmanuel Gras

Un film cinglant et efficace sur le quotidien d’un clochard, par le réalisateur de “Makala”, actuellement en salles.

Réalisateur connu pour ses documentaires (notamment Bovines ou la vraie vie des vaches, 2011, et Makala en compétition à la Semaine de la critique à Cannes et en salles actuellement), Emmanuel Gras livre avec Être vivant un court métrage au genre plus hybride, entre document et réquisitoire social.

Écrite à partir d'un texte publié anonymement sur le blog Web'xclusion dans les années 2000, la voix off du film, dite par Bernard Blancan, raconte pendant une vingtaine de minutes le parcours d'un homme, de l'instant où il quitte son toit au commencement de sa vie dans la rue ; le passage de l'état d'être humain à celui de simple être vivant. En même temps, des images de Paris défilent, prises dans un mouvement qui ne semble pouvoir s'arrêter, comme celui de la chute. Ce sont des lieux filmés la plupart du temps en travelling arrière, technique qui permet d'entrevoir de manière différente un même endroit au fur et à mesure que la caméra recule, telle cette place aperçue d'abord en plan large, sans limite que celle du cadre, puis lentement prise entre les pans du mur d'un parking, le lieu devenant alors de plus en plus restreint, de plus en plus sombre et insalubre, et désignant la prochaine demeure du clochard.

La voix off ne raconte rien de personnel et le texte lui-même n'est pas d'une grande originalité. Il tend à résumer et généraliser une situation assez complexe et justement difficilement généralisable à travers l'utilisation d'un “tu” équivalent à un “nous” global des sans-abris. Mais c'est de cette manière que le film peut alors se transformer en manifeste et obtenir par là son efficacité coup de poing, sans subtilité particulière, mais en tout cas directe et incisive. Une chose que le film pointe et qu'on remarquait même comme simple passant, c'est la disparition progressive à Paris des bancs pour empêcher toute personne d'y dormir ou même de s'asseoir, la disparition dans la ville de lieux pour les passants et ceux de la rue, au profit de ceux qui se déplacent toujours, d'un point A à un point B, sans répit.

Grâce à la voix de Bernard Blancan, pleine d'impulsion, parfois proche du rap, parfois du théâtre, le film ne tombe pas dans le misérabilisme, mais demeure un instrument de lutte, une réaction à la peine à travers des mots qui laissent la colère s'exprimer, qui empêchent de tomber dans le mutisme, et nous font rester humains.

Léocadie Handke

Réalisation, scénario et image : Emmanuel Gras. Image : Benjamin Fatras. Son : Manuel Vidal. Montage : Emmanuel Gras et Karen Banainous. Musique : Michel Nassif. Interprétation : Bernard Blancan. Production : bathysphere Productions.