Cahier critique 12/10/2021

“Esperança” de Cécile Rousset, Jeanne Paturle et Benjamin Serero

Esperança, 15 ans, vient d’arriver d’Angola avec sa mère. À la gare d’Amiens, elles ne savent pas où dormir et cherchent quelqu’un qui pourrait les aider. Esperança nous raconte son histoire.

Le genre du portrait est autant pictural que cinématographique et c’est à la croisée de ces deux arts que le format court a vu émerger ces dernières années de nombreuses mises en images animées de paroles documentaires, notamment au sein de la jeune création.

On peut citer la série de Portraits de voyage de Bastien Dubois ou deux beaux films d’école : Ginette, de Benoît Allard et Marine Laclotte, et Pieds verts, d’Elsa Duhamel. Esperança a en commun avec les deux derniers de donner à entendre une parole précieuse, recueillie sur le ton de la confidence, dont l’art de l’animation va également donner à voir les hésitations, les silences qui la ponctuent et même ce qu’elle ne dit pas. Dans les trois films, l’univers graphique est conçu au service des mots, avec pour Esperança un trait stylisé dans un univers en noir et blanc composé essentiellement de silhouettes et de certains objets signifiants, seulement rehaussé de quelques aplats de couleurs primaires.

Avec délicatesse et sobriété, le récit documentaire est complété ou illustré de manière littérale ou métaphorique : le temps qui passe est par exemple montré par une ombre qui se modifie au cours de la journée, l’angoisse dans les couloirs du collège par un escalier qui se déplie. Ce travail plastique permet de donner une grande fluidité au récit de vie chaotique racontée par la bien-nommée Esperança. La violence et l’exil qu’elle a vécus sont montrés de façon stylisée et, de la même façon que les traits se métamorphosent (par exemple ceux du numéro d’urgence “115” deviennent ceux du logo d’un hôtel, un lit sous un toit), ils se transforment en quelque chose d’autre, un récit de résistance et de résilience. Ainsi, à la fin du film, Esperança, qui attendait avec sa mère à la gare toute la journée, poinçonne son billet et prend l’un des trains qu’elle regardait passer.

Pour accompagner ce nouveau départ, cette remise en mouvement du personnage, deux très courtes séquences dansées ponctuent le film qui participent elles aussi à la fluidité de l’ensemble. Elles sont comme un intermède, une respiration – au sens propre et figuré – pour que le personnage reprenne son souffle dans un récit parfois éprouvant.

Le trio à la réalisation (dont Jeanne Paturle et Cécile Roussel, qui se sont rencontrées à l’École nationale des arts décoratifs de Paris et ont déjà réalisé ensemble plusieurs documentaires animés) parvient ainsi à mettre en images le récit, mais également la façon dont il émerge et sa fragilité.

Anne-Sophie Lepicard

France, 2019, 5 minutes.
­Réalisation : Cécile Rousset, Jeanne Paturle et Benjamin Serero. Scénario : Benjamin Serero et Cécile Rousset. Animation : Cécile Rousset, Jeanne Paturle et Marine Blin. Montage : Érika Haglund. Son : Benjamin Serero et Jérémie Halbert. Production : Beppie Films, Le cercle rouge.