Cahier critique 27/06/2018

"Entracte" de Yann Gonzalez

Le dernier long de Yann Gonzalez, "Un couteau dans le cœur" a reçu le Prix Jean-Vigo 2018. Découvrez "Entracte", son deuxième court, un film pour tromper l’ennui.

Entracte est le deuxième film de Yann Gonzalez, découvert peu de temps après By the Kiss, premier essai expérimental incandescent (voir Bref n° 75) dont il reprend d’emblée certains motifs. Ainsi, dans Entracte, pour s’en tenir au décor, deux personnages, puis trois, sont filmés frontalement, adossés à un mur, comme l’était Kate Moran, dévorée par les baisers d’inconnu(e)s dans By the Kiss. Mais à la rigueur d’un dispositif où la musique enflait au crescendo du désir succède maintenant un flot de paroles, de mots – et par là, des personnages plutôt que des silhouettes – mêlant lyrisme et trivialité en une théâtralisation des affects et du désir qui deviendra la marque de fabrique de Gonzalez, parmi d’autres occurrences formelles ou thématiques, ensuite.

Pas encore totalement assumé, le romantisme dans lequel baignera dix ans plus tard Un couteau dans le cœur est encore voilé en 2007 par un maniérisme dont Gonzalez peu à peu aura su se défaire au profit d’une candeur et d’un lyrisme bienvenus. Mais cette ironie manifeste fait aussi le charme d’un film où le dialogue ne cesse de briser le quatrième mur, où les options de récit, les possibilités de la bande-son même, sont discutées, commentées, voire moquées. En prenant acte de leur ennui dès les premiers mots (“On s’emmerde, qu’est-ce qu’on peut faire ?”), Kate et Salvatore ne font pas qu’adresser un clin d’œil cinéphile au spectateur reconnaissant là Pierrot le fou, ils s’adressent indirectement à lui qu’ils intègrent à leur inaction, à leur état de personnages en attente, conscients d’être les héros (tout autant d’ailleurs que les spectateurs, eux-mêmes) d’un film en train de se dérouler (“Tu danses avec moi ?”, demande Kate ; “Non, on te regarde”, répond Salvatore).

Dès lors, toute action filmée par Yann Gonzalez semble n’être que prétexte (“On pourrait danser”, dit l’une ; “Oui, c’est intéressant. C’est toujours intéressant les gens qui dansent. On ne s’emmerde pas quand les gens dansent. Jamais”, répond l’autre), le film, extrêmement conscient de ses effets, finissant tout de même par se laisser déborder – et c’est heureux – par l’irruption de l’émotion, par le trop-plein d’un monologue tremblant d’amour fou qui rappelle les vacillements corporels de Kate Moran dans By the Kiss.

Car un fantôme, Pierre, s’est frayé un chemin dans cette histoire, apparaissant, convoqué par Salvatore, au bout de quelques plans. Kate l’a aimé. Salvatore aussi. Et le cinéma, média spirite par excellence, de redonner vie au trio désuni à travers des gros plans de baisers et à travers un plan d’ensemble iconique les réunissant tous les trois côte-à-côte (“Le plaisir d’être ensemble, le plaisir d’être là sur ces images, présents et encore jeunes”).

Un spleen profond teinte alors ce film faussement pop et lumineux tandis que la nuit tombe brusquement, artificiellement, sur le terrain vague. Kate et Salvatore jamais ne pourront s’aimer comme ils aimaient Pierre. L’écho d’Amoureux solitaires, la sautillante chanson triste de Lio, celle-là même sur laquelle dansait Kate au début, s’est estompé. N’en reste que l’humeur ouvertement mélancolique – les mots d’Elli Medeiros et de Jacques Duvall – prélude véritable au lyrisme qui se déploiera un an plus tard dans Je vous hais petites filles, le très beau moyen métrage – le premier – de Yann Gonzalez.

Stéphane Kahn

À lire et à voir aussi la critique de Nous ne serons plus jamais seuls et son bonus vidéo sur la musique du film.

Réalisation et scénario : Yann Gonzalez. Image : Claire Mathon. Montage : Thomas Marchand. Son : Xavier Thieulin et Damien Boitel. Interprétation : Pierre-Vincent Chapus, Kate Moran et Salvatore Viviano. Production : Sedna Films.