Cahier critique 06/07/2021

“En avant” de Mitchelle Tamariz

Le pull de Rosa se défait petit à petit pendant sa traversée du désert mexicain.

La jeune réalisatrice d’origine mexicaine Mitchelle Tamariz a choisi de ne pas mettre de point d’exclamation au titre de son court métrage de fin d’études, réalisé au sein de la prestigieuse école de La Poudrière. La traversée du désert mexicain à laquelle elle nous invite et qu’expérimente sa jeune héroïne en quête d’une vie meilleure, aux États-Unis, n’est en effet pas de celle vers laquelle on s’élance en poussant un cri conquérant.

Le film nous fait partager la lente marche d’un groupe de migrants dont nous ne distinguons pas, la plupart du temps, les visages et dont les silhouettes sont souvent réduites à quelques traits noirs palpitants, comme parfois près de disparaître. Cette fragilité des personnages est renforcée par l’épaisseur et le statisme de la matière picturale des fonds, travaillée de manière traditionnelle.

Influencée par l’œuvre du peintre mexicain Rufino Tamayo, la réalisatrice met ainsi en valeur la matière et les couleurs par des contrastes qui créent une intensité visuelle tout au long du récit, par ailleurs sans paroles. Le pull jaune du personnage principal, qui s’effiloche peu à peu pendant le voyage, est lui-même la métaphore de la nostalgie que cette jeune fille ressent pour la vie qu’elle laisse derrière elle. Elle se love dans son pull pour se rassurer et s’immerge littéralement dans cette couleur chaude de laquelle émergent des formes familières, face au bleu de la nuit froide du désert.  

Symbole du lien qui la relie encore au passé, c’est pourtant ce vêtement réduit à un seul fil jaune qu’elle lâche pour passer définitivement de l’autre côté du mur qui sépare la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Il semble qu’avec lui, ce sont aussi les couleurs chaudes de la vie qu’elle abandonne, celles des poules rousses, du sable, du soleil, des oranges, de la paille et du bois. Sa peau, comme celle de ses congénères, perd d’ailleurs son brun mat pour épouser le bleu de la nuit dès le début du voyage, comme un indispensable processus d’adaptation et, peut-être, de camouflage.  

Finalement, si les migrantes et migrants passent de l’autre côté, nous restons en tant que spectateur de l’autre côté du mur, avec les biens à la fois dérisoires et infiniment précieux qu’ils ont emmenés dans leur marche et que l’escalade de la construction a malgré tout rendu nécessaires de laisser derrière soi : un sac à dos, une poule tout à coup libérée, une chaussure, un chapelet et ce fil de laine jaune jusqu’ici suspendu, qui gît désormais au sol...  Car si la jeune héroïne ne sait pas ce qui l’attend en avant, elle doit d’abord véritablement abandonner ce qu’elle laisse en arrière, telle que le suggère la scène de son départ, sans au revoir et sans promesse de se revoir. 

Anne-Sophie Lepicard 

France, 2019, 4 minutes.
Réalisation, scénario, image et animation : Mitchelle Tamariz. Montage : Jeanne Fontaine. Son et musique originale : Roméo Monteiro. Production : La Poudrière, école du film d'animation.