Cahier critique 29/03/2022

“Empty Places” de Geoffroy de Crécy

Une ode à la mélancolie des machines, réalisée avant le confinement mondial.

Par sa succession de figures géométriques en mouvement, Empty Places débute comme un ballet mécanique plutôt abstrait : des cercles s’enroulent sur eux-mêmes, une boule à facettes reflète les fragments de ce que l’on devine être une piste de danse, une porte d’ascenseur balaye de son ombre l’espace vide de son habitacle. Mais lorsque la caméra prend du recul, au rythme funèbre de la Sonate au clair de lune, nous découvrons peu à peu ce que nous voyons – tourne-disque, gicleur d’arrosoir, photocopieuse, tapis de caisse, escalator –, puis où nous nous trouvons : centre commercial et aéroport, bureau et terrain de golf, discothèque et restaurant… Des lieux publics tous désertés, et parsemés d’indices qui trahissent la soudaineté d’un départ.

Paradoxalement, à mesure que l’énigme visuelle se résout, une autre apparaît, plus implicite. Que s’est-il passé pour que tout soit ainsi laissé à l’abandon, de manière si précipitée ? Cette interrogation qui se forme d’abord en creux, le film n’y apporte pas de réponse, elle reste même suspendue jusqu’aux derniers plans. Sur un crépuscule aux couleurs trop parfaites, le bras du tourne-disque reprend alors sa position de départ pour boucler la boucle, et laisse le spectateur rêveur devant une société moderne qui semble avoir confié aux machines ce qui lui reste d’humanité.

Issu d’un parcours atypique dans le milieu du graphisme et de l’animation (il fait ses armes dans le clip, la publicité, la série et l’illustration), Geoffroy de Crécy explique avoir d’abord pensé son film à partir d’une suite de petites vidéos destinées à circuler sur Instagram, des séquences simples et répétitives, montées en boucles, auxquelles il a voulu donner avec ce film une autre dimension. Avec son esthétique froide propre à l’univers des machines, ses textures et couleurs “procédurales” générées par l’ordinateur, ses mouvements programmés des objets sur eux-mêmes, Empty Places a été réalisé avec aussi peu d’intervention humaine que possible afin de servir au mieux son propos sur la déshumanisation. “Terminé avant la pandémie de Covid-19, Empty Places est une ode à la mélancolie des machines”, annonce le synopsis. Un poème graphique qui questionne aussi avec subtilité la place de l’humain dans un monde que l’actualité rend toujours plus incertaine.

Olivier Payage

Article paru dans Bref n°126, 2021. 

France, 2020, 8 minutes.
Réalisation, scénario et image : Geoffroy de Crécy. Animation : Geoffroy de Crécy et Arnaud de Mullenheim. Montage : Geoffroy de Crécy et Jane Chagnon. Son : Baptiste Boucher et Raphaël Seydoux.  Production : Autour de Minuit.