Cahier critique 20/01/2018

“Émilie est partie” de Thierry Klifa

Alors que le dernier long de Thierry Klifa, Tout nous sépare, avec Catherine Deneuve, est en salles, son unique court métrage nous permet de rendre hommage à une autre icône du cinéma français récemment disparue : Danielle Darieux.

Avec Émilie est partie, Thierry Klifa nous livre une histoire surréelle qui résonne aujourd'hui particulièrement après la mort en ce début d'automne de l'actrice Danielle Darrieux. 

Julien, interprété par Michaël Cohen, est déchiré entre deux femmes, Émilie (Danielle Darrieux), qui partageait sa vie jusqu'à sa rencontre avec Léa (Sandrine Kiberlain), laquelle vient de trouver un appartement pour leur emménagement. Émilie demeure dans la première partie du film un mystère. Qui est-elle ? Pourquoi est-ce que Julien ne lui dit rien de sa nouvelle relation avec Léa ? Ces questions sont posées dès le début par Léa, de manière directe, sans aucune entrée en matière, et ce commencement donne au film une énergie particulière, étrange et intrigante. Par le dialogue mouvementé dit en traversant les pièces vides du nouvel appartement, le couple compose une danse pleine d’agilité qui amplifie encore l'énigme Émilie, comme si elle était là tout le temps entre eux, et crée un début de suspense proche du film noir.

La deuxième partie appartient à Émilie, à Danielle Darrieux, qu'on découvre dans une apparition hitchcockienne avant son départ, sur les quais de la gare. On apprend alors qui elle est et, racontée autrement, cette histoire aurait pu être à dormir debout. Pourtant, le film dépasse toute idée de réalisme grâce à la figure de Danielle Darrieux, dont l'aura permet au personnage de ne pas être seulement celui du récit, mais aussi l'actrice même, la femme mythique du cinéma, de Max Ophüls à Jacques Demy. On peut se trouver ainsi perdu, mais c'est une perte de repères dans laquelle on se laisse porter, comme lors de la scène de danse entre Julien et Émilie dans la brasserie de la gare de l'Est. Là, ne se joue pourtant aucune musique, mais à nouveau les personnages outrepassent la réalité et le film crée pour eux le moment qu'ils désirent voir exister. 

Après le départ d'Émilie, le temps semble reprendre son cours. Julien retourne auprès de Léa et le récit quitte l'éternité vers laquelle il était monté pour retrouver le quotidien. Finalement, ce dont parle Émilie est partie, c'est aussi du temps, du mystère et du malheur des années qui passent. Cette réflexion est présente en substance dans la forme même du film, à travers un montage rythmé et parfois elliptique, qui laisse de côté les liens habituels entre les séquences ou même les plans – et par là même le réalisme – pour donner au récit une temporalité plus proche de l'histoire secrète des personnages, de leurs démons.

Léocadie Handke

Photo : Thibault Grabherr.

Réalisation et scénario : Thierry Klifa. Image : Marc Tevanian. Montage : Dominique Pétrot. Musique : David Moreau. Son : Grégory Lacroix et Emmanuel Croset. Interprétation : Michaël Cohen, Sandrine Kiberlain et Danielle Darrieux. Production : Les Films du Kiosque.