Cahier critique 13/10/2017

“Dirty South” d’Olivier Strauss

Deuil, émois adolescents et étrangeté plastique se mêlent dans ce premier court métrage surprenant.

Il règne sur l’univers de Dirty South la pesanteur de l’irréversible. Spectre invisible et invincible, elle irradie de chaque plan, chaque parole, chaque mouvement ; c’est une torpeur vague, plus puissante encore que la chaleur moite de l’été qui fait suinter les corps et épaissir le temps. Contre elle, il n’y a pas de pluie d’orage, pas de refuge, pas de fuite possible.

Ainsi, tout est vain. De l’étendue infinie des champs de blé, effaçant jusqu’à l’idée d’un ailleurs, au deuil d’un père qui n’est désormais plus qu’un portant de vêtements inanimés, la détresse des personnages d’Olivier Strauss n’a aucun visage auquel s’opposer, aucun obstacle à franchir ; au contraire, c’est avec leurs absences, avec leurs négations, qu’ils doivent composer. Alors le désir se grippe, et Violette et Isa, respectivement à l’orée et au cœur de l’adolescence, à l’âge où se déploie leur libido, tentent de trouver leur place, explorant cette violente et rugueuse ambivalence du désir naissant dans un univers où règne la fatalité.

Et c’est cet effort, sublime dans son inanité, qu’Olivier Strauss s’emploie à saisir dans un recul plastique qui confère à son court métrage une dimension atemporelle et fabuleuse. En effet, dans un décor quasi mythique – une longue tour bleue de béton s’élevant comme un phare sur un océan de champs blonds –, les séquences se succèdent, déconcertantes d’aléatoire, et se répondent, par échos de motifs. La dimension picturale – des images comme de la structure générale – guide le spectateur dans une lecture du film s’approchant davantage de la réception de touches de peinture plutôt que d’une narration classique ; ce sont des images fortes qui s’inscrivent au-delà de la rétine, comme des tableaux, presque des allégories de cette lutte impossible contre le cours des choses. Chaque élément, distinct, modèle alors les autres par sa seule présence, précise l’étrange équilibre doux-amer de Dirty South, et rend sensible ses béances qui font vibrer le vide et la solitude qui entourent irrémédiablement ses protagonistes. Ainsi, les relations sexuelles d’Isa se répondent à distance et bourdonnent de la même âpre désillusion : dépourvues de passion, la chair s’abîme dans l’abandon et s’offre, à l’ennui comme au regard.

De l’érosion du désir, il reste donc la contemplation. Attentive, voyeuse souvent, elle se résigne par essence à l’inexorable, le scrute pour en tromper l’ennui, et retrouver, peut-être, un peu de contrôle – par procuration – sur le fil de l’existence. C’est Violette, surtout, qui l’incarne, et Franklin, qui l’initie, c’est la poignée de sperme qui coule au fond de l’aquarium sous leurs yeux attentifs et qui les lie dans une complicité muette, hors de la mêlée violente et désabusée des rencontres impossibles.

Ainsi, prisonniers d’un espace sans limite, c’est finalement par le regard, acte dérisoire et grandiose, que Violette et Isa parviennent à accepter et à transcender la pesanteur de l’irréversible. Ainsi du plan de fin, vision plastique sublimant le deuil, où la figure du père accède enfin au passé, dans un envol poétique, par le soin de ses filles, devenues spectatrices appliquées. Et l’acceptant, elles s’en libèrent.

Claire Hamon

Réalisation et scénario : Olivier Strauss. Assistanat mise en scène : Lucas Delangle. Image : Julien Guillery. Effets spéciaux : Rodolphe Zirah. Décors : Damien Rondeau. Montage : Isabelle Manquillet. Musique : Jérôme Echenoz. Son : Aude Baudasse, Amaury Arboun et Xavier Thieulin. Interprétation : Luna Opigez, Lou Chiller, Louison Dequesnes, Emil Karimov, Aurélia Petit et Édouard Rérolle. Production : Sedna Films.