Cahier critique 13/04/2018

“Des rêves pour l’hiver” d’Antoine Parouty

Quatre garçons dans le vent... et un film primé à Pantin, Belfort et Brive.

Après Une cicatrice derrière la tête, retour sur des impressions glanées lors d’un voyage au Mali et La route des hêtres, portrait sensible des souvenirs d’un vieil oncle, le film d’Antoine Parouty, Des rêves pour l’hiver, accompagne le jeune Teen qui se métamorphose en créant un groupe de rock. Le réalisateur a passé de nombreuses heures auprès de Teen et de ses amis musiciens, et c’est au cœur de leurs rêves qu’il a écrit son documentaire, comme on écrit une fiction.

Ce film, comme les précédents, se veut le récit d’un chemin, d’une route parcourue. Mais cette fois, la trajectoire reste droite : pas de retour en arrière, pas de passé à revisiter. Des rêves pour l’hiver est un film au présent, au futur même, tant il s’inscrit dans l’attente de chaque signe préfigurant l’envol de son jeune héros Au début du film, Teen est un corps recroquevillé, au visage fermé, caché derrière ses cheveux. Ce qu’il a à dire, il ne peut que l’écrire. Ses refus (famille, école et autres “dogmes crétins”), tout comme ses rêves lui semblent plus une chute qu’un envol (“vertigineuse chute que celle des beaux jours” note-t-il dans son carnet). Mais lorsqu’un jour cette phrase est murmurée, affirmée, puis criée par une jeune fille dans une maison au fond des bois, alors la grâce s’empare de lui (“laissons enfin place à notre grâce” disait aussi la chanson de Teen).“Je t’attraperai le soleil” chante-t-il à tue-tête un peu plus tard. Phrase au futur encore, car il faut se projeter en avant, rêver, toujours rêver. Dans une des premières scènes du film, Teen traverse un tunnel tout en inscrivant, avec sa bombe de graffeur, une ligne noire horizontale sur la paroi ; cette ligne de détresse, il la laisse derrière lui puis disparaît dans le soleil, vers une autre trajectoire, une virée en voiture qui se transformera bientôt en tournée musicale.

Mais avant, place au travail. C’est sur ces tâtonnements d’avant la création qu’Antoine Parouty a choisi de centrer son film, explorant ici, pour la première fois, une nouvelle façon de confronter son cinéma au réel. Il s’immerge dans un espace-temps au présent et cherche à se faire le témoin des choses en train de se produire, ici et maintenant. Un groupe en train de s’accorder, une musique en train de s’inventer, un adolescent en train de sentir qu’il existe. Dans cette maison-monde où s’installent les jeunes musiciens en construction, Teen fait l’expérience du réel. À chaque plan, il se transforme ; à chaque geste, il devient plus présent et habite plus solidement sa vie jusqu’à vibrer de tout son être au spectacle de l’aube qui vient éclairer la forêt qui l’entoure. Et le cinéaste parvient à capter, tout en douceur, cette nouvelle présence au monde. L’espace accueillant de ses cadres et de ses propositions de mise en scène, la durée fragile qu’il ose accorder à chacun de ses plans, lui permettent d’aller au plus près de ces visages qui s’apaisent par le simple fait d’être et d’inventer ensemble. Il ne craint rien des temps morts, car il sait que dans ces silences, ces soupirs d’avant le chant, la vie nouvelle est déjà là. La vie rêvée commence, tel un morceau de musique, dans des balbutiements et des répétitions.

Ce temps qui s’enroule et se déroule sait aussi laisser place à celui de la ronde amoureuse : juste avant la dernière ligne droite et le grand départ en tournée, deux filles viennent tourner autour des quatre musiciens. Dans la dernière scène du film, garçons et filles partent chacun de leur côté. Mais avant de filer droit devant, leurs voitures se suivent dans un dernier manège amoureux qui s’achève sur un geste d’amour de Teen formant entre ses deux mains un cœur, un cadre en forme de cœur, comme un emblème du film lui-même. Et puis en route pour les concerts, dont la seule image donnée au spectateur sera celle d’une photographie ayant su fixer un instant précieux, celui de ces jeunes bondissant au rythme de la musique de leur cœur, figés à jamais dans leur envol, enfin en état d’apesanteur.

Amanda Robles

Article paru dans Bref n° 93, 2010.

Réalisation et scénario : Antoine Parouty. Image : Benoît Deléris et Antoine Parouty. Son : Josefina Rodriguez, Mikaël Barre et Gilles Benardeau. Montage : Damien Maestraggi. Interprétation : Vivien Galinon, Nicolas Guerrier, Thomas Delpérié, Adrien Dournel, Marion Bessaguet, Fleur-Lise Heuet et Elina Löwensohn. Production : Perspective Films.