“Derrière le mur” de Karima Zoubir
Quand on naît du mauvais côté du mur… Clermont-Ferrand 2018.
Découverte en 2012 à travers son documentaire La femme à la caméra, la réalisatrice marocaine Karima Zoubir réalise avec Derrière le mur un premier court de fiction, dans lequel on sent sa volonté de retracer une situation sociale réelle, comme elle le faisait en suivant le quotidien d'une femme divorcée marocaine, qui choisit de gagner sa vie comme camera woman.
Derrière le mur se situe dans la périphérie de Mohammedia, ville proche de Casablanca, d'où est originaire la cinéaste, et lieu industriel important du pays, comprenant une de ses principales raffineries et sa plus grande centrale thermique. Entre une autoroute et des voies de chemin de fer se trouve un immense bidonville, entouré par un mur et contrôlé par des hommes probablement à la solde de la ville et de ses industries. Là vivent la petite Nadia et ses parents, ouvrier et femme de ménage, et tant d'autres de différents pays. Toute l'histoire repose sur les tensions que crée un trou dans ce mur, permettant aux habitants de ne pas parcourir tout le bidonville pour en sortir, mais de couper et d'abréger leur longue route vers le travail ou l'école. Pourtant, la mère de Nadia craint cette ouverture puisqu'elle donne sur des rails et représente un danger pour sa fille. Il est donc essentiel dans ce film de saisir la situation précise du lieu, ainsi que tous les enjeux sociaux et politiques que celui-ci représente, même si des éléments de l’histoire manquent de clarté et que notre interprétation soit sollicitée, plutôt que guidée. On lit entre les lignes et notre conscience de la situation est entachée par notre vision d’adulte. Ce film est vu à hauteur d’enfant, son personnage. Et c’est à travers son regard que nous découvrons la réalité, sa réalité, un regard naïf et joyeux, qui n'enveloppe pas la totalité, mais saisit des moments au présent.
Ainsi, le film ne tombe dans aucun misérabilisme, puisque Nadia transforme son quotidien en un monde plein de gaieté. Faire d'une carcasse d'une vieille voiture le jardin parfait pour la fleur qu'elle veut voir pousser, traverser l'autoroute sur les épaules de son père, marcher le long des voies de chemin de fer et s'arrêter lorsque qu'un train passe, tant sa vitesse et le bruit sont forts, tout cela devient source d'amusement et d'aventure. Nadia n'analyse pas les tensions (lorsque sa mère l'empêche de jouer avec une enfant d'une autre nationalité) et ne perçoit pas sa pauvreté. C'est donc de manière diffuse, que sont révélées les difficultés du bidonville. On gardera quelques réserves concernant le suspense final, en dissonance avec le rythme du quotidien et le reste du film ; il n'était peut-être pas nécessaire de sur-dramatiser cette fin pour faire partager la misère que vivent, chaque jour, réfugiés et travailleurs exploités.
Léocadie Handke
Réalisation et scénario : Karima Zoubir. Image : Alex Moyroud et Gris Jordana. Montage : Margaux Serre et Manon Falise. Son : Hicham Amedras et Antoine Bertucci. Interprétation : Abrar Chennani, Khadija Allouch et Abdelhakim Rachid. Production : Les Films de Demain (Maroc/Qatar).