Cahier critique 17/05/2022

“De sortie” de Thomas Salvador

Un jeune homme se prépare, puis sort pour un rendez-vous. De nuit, il rentre chez lui.

En quelques films seulement, Thomas Salvador a brillamment jeté les bases d'une syntaxe cinématographique aussi reconnaissable que singulière, dans laquelle la fiction est évacuée au profit d'une opacité narrative, a priori déroutante mais qui, de film en film, devient famillière et presque jubilatoire. Son dernier opus ne déroge donc pas à la règle et prend la forme d'un objet visuel lisse et silencieux, effleurant sans cesse la réalité, où seuls l'espace, le corps et une simple présence définissent le monde dans lequel évolue le personnage. Ainsi, conformément à son propre dogme“, Thomas Salvador se met lui même en scène, dans un lieu unique, avec tout au plus deux lignes de dialogues. Une fois encore, le défi tient la route et étonne, par sa capacité à éveiller la curiosité dans le moindre détail, à tourner en rond sans jamais lasser le spectateur, à l'égarer sans le perdre un instant.

Le film nous montre un jeune homme seul, vaquant à ses occupations familières, mélange d'habitudes, de réflexes et de rites qui meublent bon nombre de solitudes. Rien d'extraordinaire, si ce n'est l'attention méticuleuse du film à l'égard de ces actes minuscules, que le quotidien finit par rendre invisibles. Dès lors, se noue un rapport singulier entre le réalisateur observant l'acteur, et l'acteur incarnant les observations du réalisateur, les deux n'étant précisément qu'une seule et même personne. Dans cet appartement/scène se joue alors un étrange spectacle où chaque geste, chaque pas, chaque hésitation dessinent peu à peu une chorégraphie intime et secrète dans un espace coupé du monde. Avec l'avancée de la nuit, le ballet prend la forme d'une succession de performances absurdes et réjouissantes (création musicale improvisée avec couverture de cahier et paquet de chips, jonglage avec pot de sel, pas de danse convulsifs sur un morceau de rock, etc.). À cet instant, les niveaux de lecture se télescopent, mélant le secret désir du personnage d'être observé et la complicité du réalisateur/acteur qui lui permet précisément de réaliser ce fantasme exhibitionniste. Cette interprétation ne vaut pas plus qu'une autre, car tout est question de subjectivité, de spéculation, et c'est là que réside la finesse de Thomas Salvador, dans cette faculté à déclencher l'imaginaire, en nous cernant d'éventualité. 

Arnauld Visinet

Article paru dans Bref n°71, 2006. 

France, 2005, 16 minutes.
­Réalisation et scénario : Thomas Salvador. Image : Emmanuelle Le Fur. Montage : Agnès Bruckert. Son : Cédric Deloche, Xavier Thibault et Olivier Dô Hùu. Interprétation : Thomas Salvador. Production : Les Films Hatari et Studio Orlando.