"Dans nos veines" de Guillaume Senez
Tel père, tel fils ?
Il y a deux ans, Guillaume Senez transcendait avec force singularité le “sujet” du suicide adolescent dans La quadrature du cercle (voir Bref n° 78). Avec Dans nos veines, il s’approprie un autre motif susceptible de faire les choux gras des talk-shows télévisés les plus triviaux : la violence familiale. Naturellement, le thème n’intéresse le réalisateur que dans la mesure où il peut le détourner et ménager une distance à son endroit, jusqu’à le placer en partie hors champ.
D’abord, le père du jeune Lionel, le personnage principal du film, n’a pas le physique de l’emploi ; loin d’être une brute ou un beauf patent, c’est un type d’apparence normale, limite malingre et qui semble mener une vie bourgeoise au-dessus de tout soupçon. Ce premier cliché évacué, le scénario s’en coltine bravement un second : Lionel, qui vit une insouciante histoire d’amour juvénile, s’apprête à devenir lui-même papa… Et non seulement il n’a aucune disposition à un tel événement précoce, plus évidemment mobilisé par ses jeux vidéo de baston que par les couches à changer, mais c’est, dans le fond, le poids de l’hérédité qu’il redoute… Le déviant réflexe de cogner ses rejetons se reproduira-t-il en un inéluctable mimétisme, comme si cette violence coulait dans les veines ? La prise de conscience d’un tel danger, qui prépare le jeune homme à assumer sa propre paternité, est l’occasion d’une scène nodale savamment composée : Lionel entend depuis sa chambre/refuge son père s’en prendre à son frère cadet Vincent, que l’on pouvait jusqu’alors imaginer épargné. Et, quoique effaré, il laisse faire, la conviction s’immisçant un peu plus qu’il est éventuellement le même que son père…
Le hors-champ, avec un travail soigné sur le son, apporte ainsi de délicates nuances à un sujet a priori périlleux, comme certains choix de sorties de cadre (ainsi ce mouvement de la mère de Lionel, qui s’éclipse alors que son époux explose et dérouille leur fils, comme un parfait résumé de sa passivité coupable et répétée). Pas de surlignage, ni de pathos dans un style qui perpétue les qualités affirmées à travers le film précédent : le cinéma sur le fil de Guillaume Senez affirme sa maîtrise jusque dans la direction d’acteurs, le jeune François Civil se mettant à nouveau en évidence après Soit je meurs, soit je vais mieux de Laurence Ferreira-Barbosa.
Christophe Chauville
Article paru dans Bref n°91, 2010.
Réalisation : Guillaume Senez. Scénario : Guillaume Senez et David Lambert. Image : Aldo Piscina. Montage : Julie Brenta. Musique : Kris Dane. Son : Nicolas Paturle, Julien Roig et Vincent Verdoux. Interprétation : François Civil, Éric Herson-Macarel, Émilie De Preissac, Jérémy Choda, Béatrice Didier, Maëlotte Galeotte et Dominique Baeyens. Production : Les Films Velvet et Iota Production.