Cahier critique 08/01/2020

"Daniel fait face" de Marine Atlan

Un subtil regard sur la sortie de l’enfance.

Avec une durée de cinquante-neuf minutes, Marine Atlan aurait pu concocter un film avec développement et intrigue. Pourtant, elle a préféré, concernant Daniel fait face, construire un moyen métrage qui prend forme à travers une succession de longues séquences méditatives dans lesquelles les couloirs et le préau d’une école, les regards des enfants et la médiation prétexte, offerte opportunément par une pièce musicale à interpréter (comme chez Rivette), cernent au plus près les sentiments troubles de la fin de l’enfance : peur et éveil de la sexualité. À l’exception d’un détour de deux élèves par une boulangerie au début du film, l’unité de temps (une journée) et de lieu (l’école) est respectée, même si la caméra virevolte parfois vers de superbes paysages d’un autre lieu et d’une autre saison : l’action se déroule en hiver (avec de la neige), alors que les paysages oniriques que la caméra attribue aux fantasmes de Daniel, troublé, sont verdoyants. 

Daniel doit faire face à quoi ? D’abord, à la peur. Les attentats de 2015 sont présents, jusqu’au cours d’une enseignante qui apprend aux enfants comment se protéger en cas de danger. Toutefois, la véritable simulation d’attaque n’interviendra qu’à la fin du film, lorsque le garçon aura, à 10 ans, découvert les prémices de la sexualité. 
Se promenant dans les couloirs après le cours (embrouillé par les conseils de l’éducatrice), Daniel est effrayé par une porte qui s’ouvre intempestivement sans raison. Sa course le mène au vestiaire, d’où il observe, d’abord à la dérobée, la jeune Marthe, le dos nu, essayer une longue robe blanche destinée à sa future prestation dans le drame musical qui suit. Les regards des deux enfants se croisent alors. Le conflit qui les éloigne se résoudra (ou tout du moins progressera) au cours de longues répétitions dansées et chantées. Un espace temporel qui facilite la réflexion intime est habilement laissé aux protagonistes lors de la phase de préparation, ou seuls des enfants du même sexe dansent entre eux, puis survient l’alerte attentat, et le trouble causé permet aux intéressés d’échanger quelques mots. Daniel s’excuse, Marthe minaude. Regards, soupirs, paroles (Daniel chante Sur mon cou, adapté d’un poème de Genet) semblent ne pas suffire à la réalisatrice qui développe un brillant et discret sous-texte visuel. Quand son désir s’éveille, Daniel voit une foultitude de branches fleuries ; ces mêmes motifs se superposent, à la fin, en surimpression, sur le dos nu de Marthe qui, entre-temps, a pris conscience de sa beauté en se regardant longuement dans un miroir.
Si le trouble des deux préadolescents n’a pas été démêlé, sa prise de conscience en a été brillamment exposée par ce film aussi polysémique que disert.

Raphaël Bassan

Article paru dans Bref n°125, 2020.

Réalisation : Marine Atlan. Scénario : Marine Atlan et Anne Brouillet. Image : Benoit Bouthors et Marine Atlan. 
Chorégraphe : Robert Hatisi. Montage : Guillaume Lillo. Son : Elisha Albert, Paul Guilloteau, Agathe Poche et
Clément Laforce. Musique originale : Jonas Atlan. Interprétation : Théo Polgàr, Madeleine Follacci, Tristan Bernard, Aurélien Gabrielli et Emmanuelle Cuau. Production : Bathysphère Productions.