“Croque meurtre” d’Emmanuel Lautréamont et Damien Halm
Harcelé par médias et internautes, un superflic à gueule de chien méchant traque l’auteur d’abjects assassinats commis au Musée du Rire.
Il n’est pas si courant – n’en déplaise aux pourvoyeurs d'idées reçues – d’éprouver face à un court métrage le sentiment de se retrouver devant quelque chose de totalement nouveau, ne s'apparentant pas à grand-chose d’autre, tant dans le ton, la forme ou le sujet.
C’est un peu l’état dans lequel nous plonge Croque meurtre, un film d’animation qui ne ressemble à aucun autre film d’animation en même temps qu’un polar qui ne ressemble à aucun autre polar. Peut-être parce que Croque meurtreest avant tout une comédie. Une comédie noire, acerbe, dont la tonalité s'accorde à la misanthropie d’un incroyable personnage principal. Alors, un film policier, dans ses codes et ses manières ? Oui, quand même, mais qui s’attacherait beaucoup plus à créer un univers inédit qu’à résoudre une enquête prétexte.
Cette aventure de l’Inspecteur Meurtre, super-flic atrabilaire à gueule de chien, on la doit à un tandem qui, dans son attelage, rappelle assez naturellement les collaborations ayant traditionnellement cours dans le monde de la bande dessinée entre un auteur et un dessinateur. Croque meurtreest, tant pour Emmanuel Lautréamont que pour Damien Halm, un premier film. Le premier fut scénariste pour Benoit Forgeard (le réalisateur de L’antiviruset de Gaz de Franceprêtant d’ailleurs sa voix au personnage du caméraman de VeryTV, Mike) tandis que le second, graphiste, s’est plutôt chargé de l’aspect visuel du film, de l’illustration jusqu’à l’animation. De fait, on aime autant Croque meurtrepour ses dialogues – qui, dans un monde parfait, seraient appelés à devenir “cultes” ou imprimés sur des tee-shirts – que pour l’univers graphique qu’il développe avec minutie. Film noir, monochrome, où la couleur pointe au gré des décors, des changements de régime narratif (les images d’actualités, filmées par Mike, puis regardées sur des portables) ou des embardées gores, Croque meurtreimpose, sans forcer, un univers un rien décalé où l'Inspecteur Meurtre, parangon de virilité frimeuse, rallie en avion privé, un jour de RTT, une ville moyenne de province (Petite-Chérie) pour résoudre un double meurtre commis au Musée du rire (MDR).
Les médias aux trousses, une femme fatale dans les parages, la pression de l’opinion publique et un directeur de musée obsédé et menant double jeu, les ingrédients paraissent connus (l’inspecteur cite lui-même Columbo), mais sont assemblés d’une manière si étrange, si baroque, que le résultat étonne constamment.
Sachant résister à la tentation de laisser la part belle à leur très charismatique héros, Halm et Lautréamont prennent soin de fignoler leur décor (le Musée du rire, donc, truffé de détails, de jeux de mots et de gags à plus ou moins longue combustion) et leurs personnages secondaires (mention spéciale à MagicMike27, déjà cité, le cameraman se rêvant en grand cinéaste). Malgré leurs efforts, pourtant, le rôle-titre, porté par la voix grave fatiguée de David Coulon, vampirise le film jusque dans un long monologue final à la construction et aux punchlinesd'anthologie. Un petit miracle d’écriture, d’interprétation et de style, en somme.
Stéphane Kahn
Réalisation : Emmanuel Lautréamont et Damien Halm. Scénario :Emmanuel Lautréamont. Animation: Damien Halm. Son : Laure Arto et Daniel Gries. Montage : Emmanuel Lautréamont. Musique: Bernard Grancher. Voix: David Coulon, Benoit Forgeard, Florence Le Corre, Philippe Person et Anne Steffens. Production: Ecce Films.