Cahier critique 10/07/2019

“Côté cœur” d’Héloïse Pelloquet

Les marécages des amours adolescentes...

C’est, une fois encore, la topographie de Noirmoutier qu’explore Héloïse Pelloquet avec Côté cœur. Après le port et la haute mer dans L’âge des sirènes, la jeune diplômée de la Fémis se tourne vers les marais de l’île. Comme une grande, première fiction trouée par le documentaire d’immersion dans une groupe d’enfants autochtones, tenait sa légèreté du sourire spontané de son interprète principale, Imane Laurence. Devenue adolescente, elle incarne Maryline, cheveux courts et air renfrogné, qui ponctue des conversations solitaires de mantras supposés influer sur le cours de son existence plate. Côté cœur parcourt les petits malaises et grandes humiliations de cette solitaire malgré elle qui joue toujours à contretemps de ses interlocuteurs. Le film explore avec ce personnage mal aimable le chromatisme de la gamme du désagrément, variant l’embarras, la fureur, l’énervement, allant jusqu’à la perversité.

Car ce petit corps buté qui peine à se lier va faire la rencontre accidentelle, au sens propre du mot, avec un autre égaré. Ludovic a beau avoir le double de son âge, il n’est pas mieux accordé à son environnement que Maryline. Le film oppose d’abord ces deux éclopés (le vacancier vs. la locale ; elle solitaire, lui avec un groupe de copains…) pour mieux les assortir dans un duo caduc. La grande timidité de Ludovic n’est qu’esquissée, mais se charge du malaise qu’inspirait son interprète Jonathan Couzinié dans Ton cœur au hasard d’Aude Léa Rapin. L’intelligence du scénario consiste à inverser les rôles et à faire de ce “grand gentil” une proie pour le ressentiment de Maryline.

À mesure que Côté cœur s’enfonce dans les marais en une balade maudite, le jaune du T-shirt de Maryline s’agite comme un fanion dans le décor nocturne. Des nappes de brouillard s’élèvent, la silhouette d’un cheval blanc se découpe dans le paysage, teintant de fantastique l’engluement passager des personnages et du récit. Cette embardée dans un bord de merveilleux horrifique qui n’adviendra pas n’est que l’un de ces brusques coups de volant opérés dans la trajectoire du film. Dans une construction faite d’effets de rimes (deux baignades, deux sauvetages, deux baisers), le film balbutie et revient à son point de départ – la plage – pour mieux saisir l’apprentissage de son anti-héroïne.

Raphaëlle Pireyre

Réalisation et montage : Héloïse Pelloquet. Scénario : Rémi Brachet et Héloïse Pelloquet. Image : Augustin Barbaroux.
Son : Lucas Héberlé. Interprétation : Jonathan Couzinié, Imane Laurence et Nathan Bazin. Production : Why Not Productions.