“Corps inflammables” de Jacques Maillot
Dans l’obscurité glacée des années 1990, quatre oiseaux de nuit cherchent l’amour.
Comme dans 75 centilitres de prière, les personnages de Corps inflammables sont des jeunes plus très jeunes, pâles et inquiets, qui tentent de réchauffer leur solitude les uns aux autres et à ce jeu se brûlent parfois les ailes. Jacques Maillot dit qu'il filme ces êtres parce que ce sont ceux qu'il voit autour de lui. Mais ne les voit-on pas plus encore dans un “jeune” cinéma français qui n'utilise les couleurs du réalisme que pour mieux s'en écarter et décoller vers son propre univers, tout de rêve ou de fantasme ? La modernité, au cinéma, passe par un rapport problématique des personnages au monde et au réel. Voyez comme le cinéma de type “classique” aime à mettre en scène des pros : flics ou voyous, détectives, médecins, sportifs, artistes, mais toujours des spécialistes, à l'aise dans une certaine réalité sociale. Dignes héritiers d'une Nouvelle Vague toujours recommencée, les personnages de Corps inflammables travaillent à peine et ne sont spécialistes que d'eux-mêmes – et encore. On aime qui ne vous aime pas, on n'entend pas qui vous adore. On erre sur le parcours obligé de la nuit parisienne, de soirée en ciné en nuit d'amour racée dans ces appartements de célibataire où le lit occupe toujours une place si énorme.
Contrairement à d’autres, pourtant, les habitants de ce film ne sont pas des fantômes, car Maillot aime ses personnages, qu'il construit et filme avec sollicitude. Les acteurs s'engagent fiévreusement dans ces êtres blessés qui ne songent au fond, eux aussi, qu'à jouer la comédie. Les paroles sont légères, hésitantes, à peine des dialogues ; pas pour “faire vrai”, mais parce que les mots n'ont pas d'importance. Ce qui compte, c'est la justesse spontanée des cadrages, le discours muet tenu par les corps toujours proches et pourtant étrangers ; c'est surtout la composition simple et subtile, des petites scènes à deux qui déclinent toutes les combinaisons possibles dans le groupe, comme pour chercher, à tâtons, la formule idéale. Est-ce Luc et Bruno, Luc et Corinne, Corinne et Bruno, Bruno et Juliette, Juliette et sa bourgeoise de mère ? Non : ce sera le quatuor sentimental, qui se réunit à la fin du film dans un premier et unique moment de clarté. Enveloppés par le mouvement fluide de la caméra, nos infirmes du cœur trouvent la paix dans le soleil et la verdure d'un jardin d'hôpital, en dansant sur une valse. Quatre corps et trois temps, pour triompher de l'obsession du couple, du “deux” inaccessible : une jolie fin pour un film qui sait regarder les gens et les âmes.
Jacqueline Nacache
Article paru dans Bref no 26, 1995.
Réalisation et scénario : Jacques Maillot. Image : François Paumard, Thomas Bataille et Serge Guez. Son : Frédéric de Ravignan, Marc Nouyrigat, Julien Chaumat, Yunus Acar, Anne-Laure Lermyte, Mathieu Imbert, Dominique Pouzadoux et Gérard Rousseau. Montage : Frédéric Krettly, Andréa Sedlackova, Christine Lucas, Valérie Degraes et Claire Raingeval. Musique : Allie Delfau. Interprétation : Olivier Py, Aurélie Rusterholtz, Philippe Demarle, Céline Carrère, Brigitte Roüan, Alain Beigel et Jean-Michel Fête. Production : Magouric Productions / Éléfilm.