Cahier critique 29/03/2022

“Confinés dehors” de Julien Goudichaud

Mars 2020. Dans un Paris vidé de sa population, de ses voitures, de son bruit, il reste encore une partie de la population française qui n’a pas d’autre choix que de rester confinée à l’extérieur. Jusqu’alors perçus comme des fantômes urbains, Sarah, Nelson et Katia nous présentent une situation exacerbée par la crise sanitaire. Comment continuer à survivre alors que le monde entier s’est arrêté ?

Depuis le mardi 17 mars 2020 à midi jusqu’au lundi 11 mai qui a suivi, tout le territoire français fut placé sous le régime de ce qui a vite été désigné comme étant le “confinement”. Un mois et vingt-cinq jours que celles et ceux qui l’ont vécu n’oublieront sans doute jamais, même si la manière de vivre cette période a été différente, sinon contrastée, selon les cas. 

De cet événement historique inédit, de nombreuses images ont été faites. Très vite et partout, en amateur depuis sa fenêtre ou avec les autorisations requises – du moins l’imagine-t-on – hors de chez soi. L’usage des drones a permis ainsi de voir Paris comme jamais, désert ou quasiment (par le montage choisi de plans dénués de toute présence humaine), de jour comme de nuit. Julien Goudichaud, venu du reportage télé, s’est emparé de cette imagerie en réalisant son premier court métrage, sous une forme documentaire délibérément léchée (comme c’était le cas en 2014 du long métrage de Claus Drexel Au bord du monde), avec des plans d’ensemble vertigineux, mais aussi au ras du béton des rues sans vie. 

Sans vie ? Presque… Car le point de vue rejoint amèrement l’ironie du titre d’un fameux film d’Albert Dupontel, Enfermés dehors : alors que les habitants de la ville étaient assignés à leur domicile, ceux qui n’en avaient pas voyaient leur chaotique quotidien encore plus chamboulé. Comment gratter deux ou trois pièces de menue monnaie quand on croise trois ou quatre pékins au lieu de mille ? Quel sentiment donne le fait de régner sur la Place de l’Étoile en y constituant la seule présence humaine, comme cette SDF éberluée, d’ordinaire invisible aux yeux des passants ? De quelle façon une travailleuse du sexe du Bois de Boulogne subvient-elle à ses besoins lorsque les rares clients potentiels sont là de façon illégale d’abord, et dangereuse ensuite, dans un contexte de circulation très active du virus ? 

Dans Confinés dehors, la caméra s’attache à celles et ceux qui se situent au plus bas de l’échelle sociale et qui rêverait d’avoir au-dessus de leur tête ce toit que d’autres pestent de devoir ne pas quitter de toute la journée… Une séquence suffit à résumer ce que ce regard documentaire nous suggère : on applaudit les soignants aux fenêtres chaque soir à vingt heures (ce qui n’a plus du tout été le cas lors du deuxième confinement de l’automne, tout lasse…) et on fait mine de faire la fête quand résonne une musique faisant se déhancher les silhouettes aux balcons ; après quoi on referme tout, on tire les rideaux, le silence se fait, et ceux qui restent en bas, sur le pavé, se retrouvent encore plus seuls, groggy et hantant la ville la nuit comme les zombies fumeurs de crack de la place de Stalingrad. Une telle sobriété, sans l’ombre d’un surlignage, suffit à illustrer une fois de plus combien la pandémie a accéléré la dégradation d’une structure sociale à multiples vitesses. Pour pouvoir s’indigner de voir ses libertés attaquées ou amoindries, il faut déjà en avoir, et des vraies. 

Christophe Chauville 

France, 2020, 24 minutes.
Réalisation, image, son et montage : Julien Goudichaud. Musique originale : Arvo Pärt. Production : Mon ballon Productions.