Cahier critique 15/01/2020

"Comment faire pour" de Jules Follet

Éloge de la lose.

Dans le film précédent de Jules Follet, Waterfountain, il s’agissait pour Philippe Rebbot, chef débordé d’une petite entreprise familiale au bord du dépôt de bilan, de marcher dans les traces de son père, d’être “à la hauteur” de ce que celui-ci avait bâti. À bien y réfléchir, le titre Comment faire pour aurait aussi convenu...

Si, dans sa forme décontractée et dans son écriture largement improvisée, Comment faire pour semble se démarquer totalement de la précision comique de Waterfountain, il met aussi en scène un personnage essayant d’être à la hauteur. Celle d’ambitions improbables, du moins imagine-t-on, pour cet intellectuel parisien trentenaire s’exilant en province et achetant une petite maison de ville qu’il va entreprendre de retaper à la faveur d’un héritage inespéré. Mais Hugues, critique de cinéma, n’est pas bricoleur, n’y connaît rien de rien, ce que finira par lui démontrer, dans un cinglant monologue, la jeune actrice qu’il aime mollement et qu’il a invitée à passer quelques jours avec lui.

Comment faire pour être un personnage à la hauteur, comment faire pour habiter un film quand on est dessiné à gros traits (le protagoniste de Waterfountain, transfiguré par Rebbot) ou pas encore vraiment défini (celui de Comment faire pour, inventé, donc, par Hugues Perrot).

Préparé, réalisé et monté dans le cadre du festival des 168 heures (dont l’une des contraintes est aussi, sur le papier, de limiter l’équipe à cinq personnes, comédiens compris), ce moyen métrage collectif s’est bel et bien construit au gré du tournage, à la faveur d’improvisations de l’acteur (bel et bien critique de cinéma de son état – aux Cahiers du cinéma notamment) et de Camille Rutherford (que l’on n’avait encore jamais vue si drôle). Les personnages peuvent être envisagés comme des transpositions un rien fictionnées de ceux qu’ils sont tous deux dans la vraie vie (le critique parisien en proie au doute / la jeune comédienne à la carrière ascendante), les interférences fortuites avec un film récent qui procède d’une semblable dynamique d’écriture entre réel et fiction (Bus 96 de Louis Séguin dans lequel apparaît encore Hugues Perrot sans que l’on sache bien s’il y est un personnage ou lui-même) produisant, sur le spectateur ayant eu la chance de découvrir les deux films coup sur coup, un trouble fécond.

Comment faire pour convoque l’éternelle figure du gentil loser, Hugues évoquant un temps les personnages (un peu trop) joués il y a quelques années par Vincent Macaigne pour vite l’emmener ailleurs, heureusement. En effet, les insuffisances de Hugues sont moins sentimentales que techniques, une large part de la drôlerie du film venant de son assurance feinte, de ce costume de bricoleur qu’il essaye d’endosser, à grands renforts de tutoriels glanés sur Internet et de virées formatrices à la droguerie d’en bas. Par là – tant dans le recours aux (faux?) “tutos” que dans l’emploi d’acteurs occasionnels du cru –, le film cultive un amateurisme qui, loin de le desservir, lui octroie une fraîcheur aussi rare que délectable. Une manière, pour le réalisateur précis et méticuleux de Waterfountain, de nous surprendre. Comme il nous étonne encore, d’ailleurs, avec son tout dernier film, Mal caduc, qui dévoile encore un autre visage de ce jeune cinéaste insaisissable...

Stéphane Kahn

Réalisation et scénario : Jules Follet. Image : Erwan Dean. Montage : Alexis Noël. Son : Elton Rabineau, 
Dimitri Kharitonnoff et Romain Poirier. Interprétation : Camille Rutherford, Hugues Perrot et Stéphane Vielmi. 
Production : Rue de la Sardine.