Cahier critique 04/06/2018

"Comme un dimanche" d’Olivier Jahan

Retour dans les années 90 pour découvrir l’un des premiers courts d’Olivier Jahan, avec Nathalie Richard.

Le dimanche représenterait-il une source d'inspiration inépuisable pour le court métrage français1? Serait-ce l'oisiveté qui guette, le rythme ralenti des êtres et des choses, le visage différent du paysage urbain qui feraient de cette journée un moment entre parenthèses, privilégié pour mettre à nu les vulnérabilités, révéler les craintes et réveiller les fantômes, un instant propice à la nostalgie ? Bref, se présenterait-il comme un jour cinématographiquement idéal ? 

En un après-midi dominical, un jeune couple désœuvré est à deux doigts de la dispute. Pour l'éviter, la meilleure solution ne semble­-t-elle pas de “se faire une toile” ? Mais le cinéma, même la comédie2, ne résout pas forcément les problèmes de la “vraie” vie. Surtout si une séduisante jeune femme fraîchement éconduite y croise la route de Thomas (Jean-Michel Fête) et si Julie (Nathalie Richard) y retrouve fortuitement un “ex”. Des années plus tard, une similaire séance du dimanche après-midi, dans le même cinéma, présente une redistribution des rôles, mais tout n'a pas été oublié et le passé resurgit sans crier gare, la force des sentiments ayant seulement été délayée par le temps qui passe... 

Ce premier film n'aurait pu être que l'un de ces chassés-croisés sentimentaux qui envahissent le jeune cinéma français jusqu'à l'excès. Olivier Jahan a évité ce piège grâce à un ton distancié, volontiers mélancolique et un rien ironique. Nulle de ces péripéties n'est présentée comme grave. Ces petites histoires apparaissent finalement bien dérisoires, à l'époque du “Fast Love”, pour retenir ce geste symbolique de Muriel (Frédérique Feder), qui enterre définitivement sa relation antérieure en enfouissant une photo du bonheur trahi entre les tranches d’un hamburger.

Et le cinéma n'est pas davantage une chose digne de dramatisation. L'atmosphère de fond – l'action se situant pour la majeure partie dans et aux abords d'un cinéma – cultive un réjouissant côté démystificateur du “septième art”, renvoyant dos à dos la copine cinéphile qui se satisfait de “pour une fois tomber d'accord avec la critique de Télérama” et le modèle du spectateur moyen lâchant en guise d'évaluation critique de Ladybird de Ken Loach que “ce n'est pas Indiana Jones3” !

Cette désinvolture qui fait le charme du film en réduit en revanche du même coup la portée. Et même si les acteurs, tout spécialement Nathalie Richard, mettent toute leur conviction à nous la démontrer, on eût aimé ressentir davantage cette confusion qui naît lorsque le passé fait irruption, accompagné de son cortège de doutes, de regrets et de désillusions. 

Christophe Chauville

1. Citons pour mémoire Je hais les dimanches (Yves Ulmann, 1992), Dimanche soir (Solange Martin, 1992), Dimanche ou les fantômes (Laurent Achard, 1993) ou encore Le dimanche de la Mamma (Mario Caniglia, 1994), Les enfants s'ennuient le dimanche (Matthieu Poirot-Delpech et Sophie Perez, 1995). 
2. Le film projeté n'est autre que Versailles Rive Gauche de Bruno Podalydès. 
3. Ce personnage est interprété par Frédéric Pierrot, qui figure dans la distribution de Land and Freedom, dernier long métrage de… Ken Loach !

 Article paru dans Bref n° 27 (1995).

Réalisation et scénario : Olivier Jahan. Image : Jean-Louis Laforêt. Montage : Dominique Auvray. Musique : PJ Harvey. Décors : Valérie Saradjian. Son : Jean-Paul Mugel et Laurent Poirier. Interprétation : Nathalie Richard, Frédérique Feder, Jean-Michel Fête, Frédéric Pierrot, Marie Caries, Nadia Barentin, Estelle Perron et Nazim Boudjenah. Production : Diaphana.