"Chroniques de l’eau salée" de Tamerlan Bekmurzayev, Antoine Carré, Rodrigo Goulão de Sousa, Alexandra Petit et Martin Robic
Sous le soleil des derniers jours d’été, un jeune homme se prépare à quitter le foyer familial.
Si les Chroniques de l’eau salée étaient une expression, “voler de ses propres ailes” en serait le sous-titre. Dans une complexité limpide, accessible et lumineuse, le collectif de six réalisateurs file et réinvente la métaphore de l’indépendance par son son usage judicieux des symboles et le grain esthétique d’une animation habilement surréaliste qui combine leurs subjectivités.
Dès les premières secondes, la figure du papillon et cette omniprésente valise, garants poétiques du départ imminent, s’emparent d’un décor paisible qui nous berce, du calme plat de sa mer apaisante aux éclats de son ciel, et où s’incarne la douceur du cocon familial, son confort et sa sécurité. Ce halo d’innocence qui enveloppe encore le jeune homme avant son envol. Un foyer, reflet de cette île onirique, dont on s’extirpe péniblement pour se jeter vers l’inconnu. Là où la multiplication miniature du garçon induit le caractère instinctif de l’émancipation, à l’image des bébés tortues émergeant sous le sable pour se ruer vers le grand large, la mouette illustre les obstacles et l’adversité. Les esquisses parlent pour les mots dans cette œuvre à la saveur d’une fin d’été, où l’enfance s’enfuit avec cette course qui marque aussi la fin de l’insouciance et le début de la liberté.
Sous le signe de la séparation, Chroniques de l’eau salée s’intéresse à celui qui part dans le regard de ceux qui restent. Les siens, les nôtres, que l’on laisse derrière soi. Un silence qui s’installe, un manque, une étape nécessaire, un pas vers la solitude. Spectatrice des dernières méditations du jeune homme, la nature narratrice laisse entrevoir leurs gestes et réflexions. Sur un fil onirique marchent un petit frère laissé sans partenaire de jeu, un père pas encore résigné, un grand-père avisé et une mère nostalgique des années souvenirs. Tantôt songe, tantôt bagage, ce fils existe à travers eux, et dans une pluie de vêtements colorés, seul son fidèle chapeau retombe sur sa base comme le noyau indestructible des racines.
Si la danse finale où se confondent amour et chagrin unis dans leurs adieux excelle dans l’art de la chute, entre tendresse et affliction, elle n’ajoute pas moins à l’ensemble une note infiniment réconfortante. Il y a dans l’épilogue quelque chose de pur et de sage, d’un peu lisse et scolaire auquel on aime croire et qu’on sait apprécier. Et quand l’écran s’emplit d’émotions avenantes, rayonnant d’un graphisme crépusculaire, alors se dessine à l’horizon l’aube d’un cycle immortel.
Marie Labalette
France, 2021, 8 minutes.
Réalisation, scénario, image et animation : Tamerlan Bekmurzayev, Antoine Carré, Rodrigo Goulão de Sousa, Alexandra Petit et Martin Robic. Montage : Tamerlan Bekmurzayev et Rodrigo Goulão de Sousa. Son : Nadège Feyrit et Jérémy Ben Ammar. Musique originale : Jérémy Ben Ammar. Production : Gobelins, l'école de l'image.