“Chasse Royale” de Lise Akoka et Romane Gueret
En compétition nationale au Festival de Clermont-Ferrand et en lice pour les César 2017.
Le Festival de Cannes est une bulle où de nombreux critiques tombent malades. En 1955, dans les Cahiers du cinéma (n°44), André Bazin trouvait pour eux un antidote : « ne jamais réduire le cinéma à ce qu’il exprime ». Gare à la superficialité. Ne pas juger un film à son contenu, à sa nationalité (comme s’il y avait un éternel du film espagnol...), à son genre. Voyez Chasse Royale : film français présenté à la Quinzaine des réalisateurs au dernier Festival de Cannes, docu-fiction, portrait, teen movie sous influence d’un cinéma social (type Loach) à la caméra agitée (type Dardenne). On pourrait sauter une ligne, se laver les mains, s’arrêter là, signer. Merci. Et au revoir. Chasse Royale mérite mieux.
Au départ, le projet des réalisatrices, Lise Akoka et Romane Gueret, paraît on ne peut plus simple : mettre en scène le quotidien d’une adoles- cente scolarisée au collège Chasse Royale de Valenciennes. La caméra suit la jeune fille agressive vivant dans un milieu défavorisé. Elle ne la quitte jamais. Elle colle à ses pas, à sa course e rénée ; elle la surplombe ou l’en- cadre dans le décor du nord de la France : cités, ronds-points et sorties d’autoroute, couloirs et cour d’un collège-usine.
À mi-parcours de ce portrait d’une jeune fille contemporaine, un autre film embraye. Dans l’établissement scolaire, des réalisatrices font passer des auditions et Angélique, la jeune fille, sans trop y croire se présente face à la caméra et va finalement se prendre au jeu, tant et si bien que ce casting, film dans le film, en doublant l’énoncé du réel d’une épaisseur fictionnelle, brise l’effet de réel-documentaire. Chasse Royale, ne serait-ce que pour cette trajectoire boomerang, oscillant entre le vrai et le faux, mérite le détour. Entre le film de fiction qui se donne pour un documentaire, et le casting – inspiré par les premiers repérages – qui réintroduit de la fiction, deux mondes antinomiques, le réel et la fiction, deux énoncés – celui effacé des réalisatrices encore inconnues désirant tourner un film et celui d’une marginale – se nourrissent l’un de l’autre et s’entre-dévorent. Chasse Royale a quelque chose du film performance, un work in progress qui ne stigmatise jamais la jeunesse. Quant à son personnage, Angélique figure avant tout la marge, une « zone idéologique libérée » (Serge Daney) et ranime le mythe cinématographique de l’enfant sauvage. Ce n’est pas l’énergie du personnage qui compte ici, mais plutôt la capacité de la jeune femme – l’actrice débutante – à incarner un protagoniste intemporel, éphémère, émouvant et hors cadre, symbole de l’errance, de l’insouciance et de fragilité. Déjouant le piège du film social, Lise Akoka et Romane Gueret s’inscrivent avec ce premier court métrage dans les pas des grands : de François Truffaut (Les quatre cents coups), de Ray Ashley et Morris Engel (Le petit fugitif) ou encore de Bill Douglas.
Donald James
Article paru dans Bref n°120, 2016.
Réalisation et scénario : Lise Akoka et Romane Gueret. Image : Éric Dumont. Son : Guillaume Pellerin, Boris Chapelle et Marc Doisne. Montage : Albertine Lastera. Interprétation : Angélique Gernez, Eddhy Dupont, Félicia Corpet, Dhalia Humbert et Julie Lhomme. Production : Les Films Velvet.