Cahier critique 28/11/2018

"Charell" de Mikhaël Hers

À l’occasion de la sortie en salles d’Amanda, découvrez le premier court métrage de Mikhaël Hers.

Ne connaissant rien des motifs qui ont poussé Mikhaël Hers à décider, pour sa première réalisation, de s'inspirer du roman de Patrick Modiano, De si braves garçons, nous sommes libres d'imaginer, par exemple, que l'envie ait pu naître de connivences entre l'écriture de Modiano et le caractère indécidable des ombres qui, au cinéma, s'agitent devant nos yeux. Là où l'essentiel du cinéma de fiction tient à caractériser les personnages, à les inscrire dans une action, à motiver leurs gestes au prisme de ressorts psychologiques, Charell se joue de leur existence fantomatique, de leurs imprécisions, de leur vacance, de leurs attentes sans qu'on puisse saisir la logique de leurs comportements. Charell, cet ami d'enfance retrouvé par hasard, quelle est sa vie ? Quels rapports entretient-il avec les femmes qui l'entourent ? Dans quelles affaires plus ou moins louches trempe-t-il? Le moteur du film n'est pas de tendre vers des explications, mais de trouver ses respirations dans ces béances de même que dans des plans de préférence larges et des déambulations nocturnes aux buts incertains. Charell procède par allusions, joue du bruissement de la nuit, de sa charge érotique, d'un temps qui y est plus désœuvré.

Le XVIearrondissement de Paris dans lequel se déroule l'action, ce vieux quartier chic et sa proximité avec le bois de Boulogne, s'accorde parfaitement à cette fiction incertaine, surtout hantée par le passé, ce lien qui unit Charell et son ami d'enfance. Mais quels poids peuvent avoir des souvenirs face à des êtres qui ne sont plus ceux qu'ils ont été ? Le film se nourrit de ces incertitudes et de cette trajectoire éternellement fuyante, infiniment changeante qu'on appelle une vie et qui, pour peu qu'on mette l'accent sur son caractère éphémère fait des personnages le double des fantômes qu'ils deviendront.

On se prendrait presque à douter de l'existence de Charell, ce vieil ami aperçu un jour, le regard perdu, le front appuyé contre une vitre. Il n'a d'autre destin que celui que nous lui prêtons, destin en kit ou propositions variées : homme à femmes, mari d'un couple en crise, gangster… On a même le loisir d'y voir une réserve à fiction, voire une idéale projection, pour le jeune narrateur revenu dans le quartier de son enfance alors qu'il commence à écrire des pièces radiophoniques. D'autres spectateurs suivront d'autres pistes. La structure de Charell est assez ouverte pour permettre que chacun y rêve son propre film.
 

Jacques Kermabon

Article paru dans Bref n°76, 2007.

Réalisation : Mikhaël Hers. Scénario : Mikhaël Hers et Mariette Désert. Image : Martin Rit. Montage : Christel Dewynter. Musique : Alexei Aigui. Décors : Valérie Saradjian. Son : Gilles Benardeau, Cédric Deloche et Benjamin Viau. Textes : Patrick Modiano. Interprétation : Marc Barbé, Anicée Alvina, Marie Kremer, Jean-Michel Fête, Philippe Suner et Dinara Droukarova. Production : Les Films de la Grande Ourse.