Cahier critique 03/01/2023

“Cet autre hiver” de Margo Brière Bordier

Dans les rues d’une petite ville de bord de mer glacées par les vents d’hiver, deux femmes se cherchent et s’échappent. Nina, la fille, guidée par l’urgence. Lili, la mère démissionnaire. Un silence long de vingt ans, dressé comme un mur, les rend étrangères. Mais il reste ce qui les lie, comme le choix que Nina s’apprête à faire, qui résonne puissamment dans l’histoire qu’elle partage avec Lili.

Tout ici est affaire de regards. Regards cachés, regards volés, regards croisés, regards enfin échangés. Une fille et une mère, que la vie a séparées il y a vingt ans, se retrouvent quand la cadette part à la rencontre de sa génitrice, à un moment important de son parcours. Aussi fragile que soudain, ce rendez-vous improvisé est balayé par un vent hivernal dans une ville balnéaire, à la force de courants marins agités. Qui des deux est véritablement prête à ce face-à-face ? Comment gérer ce climax émotionnellement vertigineux ? Margo Brière-Bordier ne donne aucune réponse à ces questionnements simples et abyssaux à la fois. Elle décide juste de filmer ce rapprochement humain, et en fait le centre névralgique de son premier court métrage produit, après avoir assisté une poignée de cinéastes. Une aventure existentielle de vingt-cinq minutes, où beaucoup de choses s’envolent, s’évaporent, disparaissent, aussitôt dites ou partagées.

Belle idée de filmer ce vécu fort et féminin au bord de l’eau. Tout n’est que nappes infinies, incontrôlables, au pays de la transmission, entre ces deux êtres liés par la capacité et par le choix de donner la vie. Tout communique, même l’indicible. Les sentiments vont et viennent, et la réalisatrice ne s’appesantit pas sur la psychologie dans son scénario. Les dialogues évoquent sans sur-expliquer. Il y a des ratages, passés et présents, tout au long du récit. Rien ni personne n’est parfait. Les scènes collatérales donnent aussi du relief à la préoccupation centrale. La création du personnage du voisin de chambre à l’hôtel nourrit par sa force d’épreuve, de richesse et de paradis perdu. Il y a de la mélancolie dans la peinture de l’âge adulte, de l’avancée dans le temps. Un territoire aussi vaste que les plages en hiver. Des étendues symbolisant celles de l’Atlantique comme celles de la mer du Nord, et ici saisies en Méditerranée.

Pour incarner à l’image les deux planètes intenses qui se rapprochent enfin, la réalisatrice a eu la bonne intuition – avec son directeur de casting Nicolas Derouet – d’associer Adèle Exarchopoulos et Lola Dueñas. La vitalité se mêle à des remous intérieurs chez ces deux solistes. Brillantes par leur cinégénie et par leur générosité sans chichis. Leur vulnérabilité se glisse à merveille dans la frontalité de leur présence à l’écran, même sans contact physique, et ballottée par le souffle maritime. Quand résonnent les notes du standard Feelings à l’orgue de l’église, l’émotion surgit autant que les larmes montant au visage de Nina. Tout vibre sans esbrouffe. Rien de spectaculaire dans la mise en scène, mais la terre tremble en silence. Des silences qui en disent long, et que Margo Brière Bordier sait capter avec luminosité. Pour une tentative d’apaisement dans les tempêtes sous-jacentes de la vie.

Olivier Pélisson

France, 2020, 25 minutes.
Réalisation et scénario : Margo Brière Bordier. Image : Vadim Alsayed. Montage : Youri Tchao-Débats. Son : Robin Bouët. Musique originale : Louis Gasté et Sébastien Gion. Interprétation : Adèle Exarchopoulos, Lola Dueñas, Rabah Loucif et David Salles. Production : Punchline Cinéma.