Cahier critique 18/09/2019

“Ce qu’il restera de nous” de Vincent Macaigne

Le premier cri de Vincent Macaigne !

Vincent Macaigne : metteur en scène de théâtre (Au moins j’aurai laissé un beau cadavre fut l’un des spectacles les plus remarqués du Festival d’Avignon 2011) et comédien pour le cinéma, spécialisé dans le port de chemises épaisses à gros carreaux, dans Le naufragé et Un monde sans femmes… Le voici qui tend une nouvelle corde à son arc, celle de cinéaste, avec un film honoré de plusieurs prix (dont le Grand prix de la compétition nationale du dernier Festival de Clermont-Ferrand) et d’une distribution en salles. Pour ceux qui ne connaîtraient que la douceur pataude et candide de Sylvain dans le diptyque de Guillaume Brac, l’outrance et l’énergie désespérées parcourant Ce qu’il restera de nous ne manquera pas de surprendre. Et de saisir.

Il s’agit pourtant d’un récit a priori banal ; deux frères se retrouvent pour les funérailles du père. L’un (Anthony), accompagné de son épouse (Laure), est le fils modèle qui n’a rien reçu en retour – ni affection, ni héritage. L’autre (Thibault) prophétise, entre autres choses, du Nietzsche, s’adonne à l’art et s’est choisi un ermitage en bord de Loire dans une Renault 5 brûlée. Ce dernier est aussi le fils préféré, ayant obtenu tout ce que l’autre n’a pas eu. De la part de Vincent Macaigne, on peut déceler dans cette trame autour des déchirements fraternels une forme de poursuite de l’exploration des thèmes shakespeariens – dans Au moins j’aurai laissé un beau cadavre, Hamlet devenait un jeune artiste désireux d’agir sur le monde. Mais, surtout, avec une belle conviction, le réalisateur envoie valdinguer les bonnes manières – par exemple, celles du “sage petit théâtre cruel” des rancœurs familiales. L’aspect foutraque, le nihilisme et la rage de Ce qu’il restera de nous rendent tentant un rapprochement avec le cinéma de Leos Carax ; quant au visage grimé de Laure Calamy, il fait songer à une citation de Pierrot le fou de Jean-Luc Godard. Pertinentes ou non, ces comparaisons ne doivent pas masquer l’idée que plutôt vouloir “faire cinéma”, Vincent Macaigne procède surtout à une vigoureuse appropriation des moyens du Septième art en conservant un tropisme théâtral évident. À ce titre, on peut mentionner la façon dont s’énonce et circule la parole, également la disposition des corps dans des agencements scénographiques souvent frontaux. Globalement, Ce qu’il restera de nous est empreint d’une artificialité allant complètement à l’encontre d’une veine naturaliste, pour mieux retomber, en bout de course, sur des moments de vérité explosant à la figure des personnages.

Ces trois figures – le fils préféré “borderline, le frère modèle déchu et son épouse gagnée par le mépris – auraient pu se figer dans leurs postures initiales. Tout l’intérêt de Ce qu’il restera de nous est de les intégrer dans un schéma instable, une circulation des douleurs qui se posent sur les uns et les autres, se transmettent comme une malédiction. Il émane de cette dynamique l’idée que les vies de chacun et le monde sont devenus inhabitables. Le régime d’image varie entre des compositions picturales sophistiquées (jeux de lumière et de reflets au bord du fleuve) et un prosaïsme cru, assez nonchalant. De nombreux cadres contiennent les corps dans des espaces géométriques contraignants ; le plan le plus significatif étant celui, récurrent, où une cloison délimite sévèrement la chambre et la salle d’eau. Si l’on peut y percevoir la formulation d’une incommunicabilité (avec les autres, avec le monde, avec soi-même), on est plus sûrement transporté chez Francis Bacon. Avec le peintre irlandais, les figures sont prises dans cette impossibilité d’être (notons ici le travail sur les sur/sous-expositions dans lesquelles les corps semblent à la limite de se dissoudre) ; et face au désespoir existentiel, ne reste plus qu’un acte primal : le cri.

Arnaud Hée

Article paru dans Bref n°103, 2012.

Réalisation, scénario, image et montage : Vincent Macaigne. Son : Romain Vuillet, Ivan Gariel et Julien Ngo-Trong. Musique originale : Nihil Bordures. Interprétation : Thibault Lacroix, Anthony Paliotti et Laure Calamy.
Production : Kazak Productions.