Cahier critique 17/05/2022

“Cambodia 2099” de Davy Chou

L’émergence d’un cinéaste de tout premier plan, dont le long métrage "Diamond Island" est distribué en salles après sa présentation à Cannes, dans le cadre de la Semaine de la critique 2016. 

Après une plongée en 2011 dans l’histoire du Cambodge avec son magistral documentaire Le sommeil d’or, le jeune réalisateur s’attaque au futur. Retour en 2099 exactement. On sait que le cinéma, art du mouvement et du temps, permet toute sorte de télétransportation. Dans Le sommeil d’or, la parole suscitait une épiphanie et ressuscitait la mémoire. Avec Cambodia 2099, Chou capte une jeunesse en mouvement, incarnation du futur. Quel démon a bien pu piquer ce jeune réalisateur pour travailler ainsi sur le temps ? À voir ses films, on se dit que ce qui l’a piqué, c’est d’abord le cinéma : The Big Shave de Scorsese influence son premier court Le premier film de Davy Chou ; 24 City de Jia Zhangke exerce un vrai pouvoir d’influence souterrain dans Le sommeil d’or ; Millenium Mambo de Hou Hsiao-hsien semble hanter Diamond Island. Et pour Cambodia 2099 ? Quelques années après sa réalisation, alors que Diamond Island sort en salles, ce court métrage improvisé tourné en trois jours d’été en 2013 pourrait paraître comme une œuvre préparatoire à la fiction. C’est à la fois le cas, mais pas entièrement.

Cambodia... est un film rêveur planté dans un futur, mais un futur qui relève plus du conditionnel que de l’indicatif. La jeunesse qu’il dépeint échappe à toutes catégories. Ni magnifiée, ni perdue, elle est comme le sont parfois les personnages d’Apichatpong Weerasethakul dotée d’une animalité : lézard ou luciole, fluorescente la nuit, éteinte et endormie le jour. Chez ce jeune réalisateur fondu de cinéma, la lumière est un démon. Ainsi Cambodia 2099 commence par un acte incongru : un jeune homme qui se met en pyjama en plein jour. Davy Chou ose une proposition paradoxale, celle d’éclairer le monde avec des ombres, les rêves. La (seule) citation du film, musicale, celle des Contes de ma mère l'Oye de Maurice Ravel, entérine le parti pris d’un onirisme bercé d’anthropomorphisme et de zoomorphisme. Sotha, Kavish et Vanary, les trois lucioles du film, ne seraient pas les mêmes sans le décor qu’elles arpentent : la ville de Phnom Penh avec ses longues routes, ses places, véritable ruche à scooters et son île artificielle, Diamond Island où s’agglutineront un jour de gigantesques resorts de luxe. Chou peuple la salle d’attente qu’est la salle de cinéma de personnages hologrammes, entités flottantes et kaléidoscopiques qui, dans cette fiction aussi brute que généreuse, s’illuminent et disparaissent sans laisser de traces sinon dans nos mémoires.

Donald James

France, 2014, 21 minutes.
Réalisation et scénario : Davy Chou. Image : Thomas Favel. Son : Vincent Villa et Chamroeum Chea. Décors : Kanitha Tith. Montage : Laurent Leveneur. Musique : Jérôme Harré. Interprétation : Kun Sotha, Neang Kavich et Vann Sothea. Production : Vycky Films.