“Cajou” de Claude Le Pape
Vous reprendrez bien une leçon de conduite ?!
Premier film en tant que réalisatrice de Claude Le Pape, jusque là plus identifiée comme scénariste (Les combattants, Petit paysan, Vent du Nord, la série Hippocrate…), Cajou raconte d’une façon atypique une relation père / fils problématique.
Lolo aux grands yeux bleus (interprété par le propre frère de la réalisatrice), concentré sur le permis de conduire qu’il passe l’après-midi même, doit venir en aide à son père Yvon (Jackie Berroyer), "évadé" d’un centre de désintoxication alcoolique volontaire et dont les propos sont relativement incohérents. Yvon demande à Lolo d’aller récupérer au centre ses affaires (surtout ses chaussures – alors qu’il s’en désintéressera finalement complètement), lui offre une longue épée ayant appartenu, raconte-t'il, à un marquis breton fabriquant des tisanes à base d’herbes cueillies sur un parking, avant de se volatiliser, ce qui contraint Lolo à arpenter les bars à sa recherche.
C’est avec un calme olympien que le jeune homme avance dans sa journée, au gré des tâches qui lui incombent et des contrariétés. Face à son moniteur d’auto-école fantasque et brusque, à son père qui perd les pédales et se montre bien ingrat, le visage de Lolo reste impassible, il se contente d’agir, efficacement. Le film n’a pas recours à l’expressivité des émotions pour raconter cette relation singulière. Lolo, touchant, semble accepter ce qu’est son père, aussi pesant que cela soit. Et au final, dans le tram qui l’emporte il pourrait bien nous dire qu’on finit par tirer profit d’une situation subie, que la conduite à tenir dans la vie est d’avancer en tenant compte de la contrainte, quelle qu’elle soit.
Cajou propose un doux mélange de loufoque et d’ordinaire. Le film se passe dans une petite ville de province : PMU, pizzeria en zone commerciale, parking aux abords du périph, petite cité HLM, arrêt de tram désert… on se réjouit de la vision de ces lieux anodins desquels se dégage une certaine poésie. Le tempo tranquille du film et sa mise en scène minutieuse permettent aussi une attention particulière à des objets que l’on voit pour eux-mêmes (une poubelle de bar en plastique rouge, des tickets d’achats rassemblés dans un sac, un verre de bière, un flipper).
En jouant avec les contrastes, comique et triste, banalité et bizarrerie, Claude Le Pape signe un film gracieux au ton singulier.
Marion Pasquier
France, 2017, 20 minutes.
Réalisation : Claude Le Pape. Scénario : Claude Le Pape et Hubert Charuel. Image : Pierre-Hubert Martin. Montage : Grégoire Pontécaille. Son : Pierre Leblanc, Marc-Olivier Brullé et Vincent Cosson. Musique originale : Simon Le Pape et Rone. Interprétation : Laurent Le Pape, Jackie Berroyer, Jérôme Berthier et Bernard Verley. Production : Domino Films.