“Café froid” de Stéphanie Lansaque et François Leroy
Saïgon, Vietnam. À la mort de sa mère, une jeune fille se voit contrainte d’abandonner ses études pour reprendre le café familial. Confrontée à un changement de vie radical, à la solitude et au chagrin, elle perd petit à petit ses repères.
Depuis dix ans, c’est avec une régularité métronomique que le duo artistique formé par Stéphanie Lansaque et François Leroy fascine et enchante et, au gré d’histoires extrême-orientales entraînant au Vietnam (c’est le cas de Bonsoir Monsieur Chu, 2005, et Fleuve rouge, Song Hong, 2012) ou en Chine (dans Mei Ling, 2009). C’est à Saïgon, à nouveau, que Café froid s’enracine et le terme semble idoine, tant est poussé l’ancrage sonore et chromatique dans les rues de la métropole vietnamienne ; la bande-son demeure extrêmement travaillée, mixant les bruits de la ville et de son activité, les pépiements des oiseaux de l’aube, le cri d’un coq, etc. C’est au cœur de cette effervescence urbaine que l’héroïne est rapidement plongée. Étudiante, elle doit reprendre le commerce de sa mère victime d’un accident fatal, à savoir une échoppe de rue proposant ces cafés glacés dont raffole la population durant les fortes chaleurs de la journée.
Le jeu avec les différentes teintes n’est jamais dû au hasard dans les films du tandem et les couleurs chaudes, avec leurs rouges et jaunes éclatants, contrastent avec celles, bleutées et vertes, du crépuscule, lorsqu’on croit que la ville, enfin, se repose. C’est le moment où un rat prend possession des lieux, parcourant en tous sens l’appartement de la famille, où la jeune fille, brutalement privée de la présence rassurante de sa mère, se retrouve seule.
La narration s’oriente alors vers une perte de repères pour cette orpheline contrainte d’abandonner l’école et de prendre la place de la disparue, au travail comme à la maison. L’ambiance devient aussi angoissante que le chaos s’immisce dans la tête du personnage, la mise en scène joue de la géographie domestique, avec ses plongées et contre-plongées au long de l’escalier, une série de gros – ou très gros – plans et une partition inquiétante plantant un univers finalement lynchien, où se brouillent les frontières de la réalité et du fantasme, au fil d’une terrible nuit de confusion. Une séquence symbolique – le sort du rongeur intrusif – émaille comme une saillie, cruelle et inattendue, un cinéma que l’on croyait parfaitement connaître et qui n’a pas renoncé à évoluer et étonner encore.
Christophe Chauville
Article paru dans Bref n°118, 2016.
France, 2015, 15 minutes.
Réalisation, scénario, image et animation : Stéphanie Lansaque et François Leroy. Montage : François Leroy.
Son : Yann Lacan. Musique originale : Denis Vautrin. Interprétation : Ngoc Nhu Thuy Vu, Minh Hiên Duong, Thi Ngoc Dung Do, Thi Mang Do et Van Thanh Vu. Production : Je suis bien content.