“C’est dimanche !” de Samir Guesmi
Ibrahim, 13 ans, est renvoyé du collège et laisse croire à son père qu’il a décroché un diplôme.
En 2008, le passage à la réalisation de Samir Guesmi par le biais de C’est dimanche ! fut salué dans une multitude de festivals (avec des prix reçus à Clermont-Ferrand, Brest, Grenoble, Montpellier, Vendôme, etc.) et ajoutait une corde à l’arc déjà bien fourni de ce comédien alors apprécié depuis une quinzaine d’années (il avait obtenu en 1997 le Prix Musidora au Festival “Les acteurs à l’écran” de Saint-Denis, depuis très longtemps disparu, pour le moyen métrage Malik le maudit de Youcef Hamidi).
Atteignant la quarantaine, Guesmi se tournait ainsi vers le motif de la paternité et s’intéressait à cette génération de l’immigration venue travailler en France dans les années 1960 (lui-même étant né en 1967) et qui espérait une vie meilleure pour ses enfants, à travers cette notion d’ascension sociale qui semble aujourd’hui anachronique.
Mais pour cette génération de la post-décolonisation, la méritocratie avait un sens et “bien travailler à l’école” était la clé. Cette foi envers les structures du pays d’accueil était noble : on croyait, au sein de cette classe ouvrière, à la valeur du travail et à la récompense possible d’un avenir plus doux (rose, disait-on en 1981). Cette génération a été, comme chacun sait, emportée dans les remous de la mondialisation et de la fin des idéologies, laissant particulièrement démunie celle de ses enfants.
Le jeune Ibrahim de C’est dimanche ! est au cœur de ce gouffre ouvert entre le monde de son père et le sien. Lui n’est guère passionné par les études ; il se retrouve en échec scolaire et aiguillé malgré lui sur la voie de garage du technique, l’apprentissage étant depuis toujours ce qu’il est dans le système français. Amené à décevoir son géniteur, il fait le choix – dangereux – de miser sur l’illettrisme de ce dernier pour lui cacher la vérité en le baratinant sur ses prétendus succès scolaires. La tendresse du regard posé par Guesmi sur ses personnages permet d’explorer ce que sous-tend le quiproquo : le gosse n’a pas envie de se faire engueuler, certes, mais veut aussi que ce père qui mise tellement sur lui conserve ses illusions.
La fierté paternelle, elle, passe peu par les mots, les difficultés de communication orale étant récurrentes dans la représentation au cinéma de ces “paternels” de la première génération de l’immigration nord-africaine. Une pudeur empêche de se livrer, sauf éventuellement en public, par exemple dans ce “rade” lambda où l’homme a ses habitudes et où il présente son fils prodigue, sur son trente-et-un après un passage chez le coiffeur et le tailleur, à toute l’assemblée avant de faire lire le “papier” officiel reçu du collège, dont la teneur se situe à mille lieues de ce qu’il suppose.
L’humiliation publique du fils devient celle du père, et bien au-delà. En ce sens, on ne s’étonne pas de découvrir plus de douze ans après le premier long du réalisateur : Ibrahim. Même prénom, mais cette fois, Guesmi joue lui-même le père (succédant dans cet emploi à l’excellent Djemel Barek, disparu prématurément en 2020) et son fils adolescent qui file un mauvais coton et lui procure désarroi et déception, à rebours des valeurs qui sont les siennes et qu’il a voulu lui inculquer, échouant manifestement, au bout du compte.
Il y a dans les deux films la même délicatesse dans le point de vue, non seulement bienveillant, mais traduisant la dignité d’une population pleine d’humilité, souvent oubliée, quoique toujours respectueuse des règles, fussent-elles injustes. Mettre des habits du dimanche pour une grande occasion, économiser pour se fabriquer un dentier et réparer son sourire, être studieux et appliqué tout au long de son cursus scolaire : Guesmi souligne, mine de rien, que les repères que sa génération a pu se voir imposer n’étaient pas aussi contraignants que supposés. Et il le fait avec autant de sobriété que d’humour, le jeune garçon de C’est dimanche ! attirant d’emblée l’empathie, tellement heureux que sa copine Fatou lui propose de lui dévoiler une part d’intimité, à la condition que la météo dominicale soit rieuse… Un parfum de la grande comédie à l’italienne s’exhale ainsi, qu’Ibrahim perpétue à son tour aujourd’hui.
Christophe Chauville
France, 2007, 30 minutes.
Réalisation et scénario : Samir Guesmi. Image : Pascale Marin. Montage : Pauline Dairou. Son : Julien Sicard, Cédric Lionnet et Loïc Prian. Interprétation : Djemel Barek, Illiès Boukouirene, Élise Oppong, Simon Abkarian et Yann Collette. Production : Kaléo Films.