Cahier critique 11/04/2018

“C’est à Dieu qu’il faut le dire” d’Elsa Diringer

Kumba est une jeune mère ivoirienne vivant seule à Paris avec ses deux enfants, Adja, sept ans, et Bakary, huit mois. Ce jour là, on lui propose de remplacer au pied levé une amie femme de ménage. Entre ce travail et la garde du petit, Kumba doit choisir. Elle part travailler, la peur au ventre. Le petit reste seul à la maison.

Le titre de ce court métrage d’Elsa Diringer, largement remarqué en 2011, renvoie directement à l’une des phrases qui y est prononcée par Kumba, son personnage principal : “Quand on est triste, c’est à Dieu qu’il faut le dire.” On pourrait lui objecter que sa foi, visiblement bien enracinée, la mène à se montrer plutôt indulgente envers celui-ci, qui ne semble pas très enclin à lui venir en aide, tandis que sa situation sociale n’est guère enviable.

Plus habituée à mettre en scène des personnages adolescents dans ses autres courts métrages comme dans son lumineux premier long métrage Luna (qui sort ce 11 avril 2018), Elsa Diringer avait choisi, avec cette chronique de la précarité, une voie assez nettement “loachienne”, la jeune mère isolée travaillant comme femme de ménage rappelant, par exemple, celle de Bread & Roses (2000). Là, c’était une Mexicaine ayant laissé sa mère au pays pour travailler, illégalement et dans des conditions inacceptables ; ici, Kumba, d’origine ivoirienne, doit accepter des emplois nocturnes non déclarés et affronter le souci posé par la garde de ses deux enfants, dont l’un est encore un nourrisson.

Si de bienveillants coups de main peuvent être donnés par des voisines, Kumba est parfois contrainte de laisser seuls ses petits et le film fonctionne pour le spectateur sur une importance immanente du hors-champ. Un plan de la jeune femme partant dans la rue, un autre la montrant s’engouffrant dans le métro ou un troisième au travail avec son seau et son balai de récurage dans des locaux froids d’une administration prennent tout leur sens avec ceux qu’on ne voit pas, à savoir les enfants restés à la maison. Elsa Diringer a choisi d’ailleurs de ne pas les montrer, se passant de tout montage parallèle et restant sur Kumba et ce qui peut se jouer dans son esprit, même dans un moment de pause avec ses collègues. Et l’on prend alors conscience que ces terribles angoisses du quotidien – celles d’une mère qui n’a seulement pas le choix – concernent, sans qu’on le sache, telle ou telle inconnue croisée chaque jour, invisible à la société et embarquée dans un cycle infernal et inhumain. Ce que traduit un ultime plan, sobre et puissant, à travers une sonnerie de métro et l’hésitation, le temps d’une seconde, à en franchir la porte avant qu’elle se referme. Pas la peine de dire quoi que ce soit à Dieu : il est sans doute mort, Nietzsche avait vu juste.

Christophe Chauville

Réalisation: Elsa Diringer. Image: Irina Lubtchanski. Montage: Benoîte Dorlacq. Musique: Sébastien Souchois. Son: Agnès Szabo et Roman Dimny. Interprétation: Tatjana Rojo. Production: Agat Films et le collectif Tribudom.

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