“#boza” de Séverine Sajous et Anna Surinyach
“#boza” est un film sur ces femmes et ces hommes venus du continent africain en transit vers l’Europe. C’est à la première personne, en se servant de leurs selfies et vidéos amateurs, qu’Alhassane, Aminata, Mamadou, Mariam et Yahya racontent leur voyage et ce fameux but : “faire leur boz”.
“C’est beau, ça !” : c’est le cri que poussent ceux qui aperçoivent la côte espagnole après avoir réussi à traverser, dans de dangereuses embarcations, l’Afrique subsaharienne puis la Méditerranée. Devenu “boza”, le terme a pris tous les sens qu’impose la situation, lueur d’espoir au bout d’un tunnel de dangers. “Liberté” pour la plupart, c’est le terme qui scelle, pour tous, le “dernier jour de la vie d’avant”.
Après Mot de passe : Fajara, Séverine Sajous poursuit l’exploration du vocable de ces aventuriers traversant le monde en bravant tous les périls. En 2017, dans son film précédent, elle filmait en caméra infrarouge le passage de Calais à l’Angleterre. Dans #boza, en compagnie de sa coréalisatrice Anna Surinyach, photographe elle aussi, elle interroge, ceux qui ont réussi la traversée et évoquent leur arrivée en France. Face à la caméra, Alhassane, Mariam, Aminata … plongés dans un noir majestueux, témoignent tour à tour des violences politiques ou familiales qui les ont conduits à fuir leur pays. “Il faut montrer le vrai visage des gens, pas ce qu’on voit dans les médias”, dit Aminata. C’est ce que font les réalisatrices, en mêlant à ces portraits posés des images tirées des téléphones portables des exilés, suivant le principe qui leur est cher de co-création de l’œuvre avec les personnes filmées.
Les exilés s’y mettent en scène pour eux mêmes (Aminata fait un selfie devant son village juste avant de le quitter), conservent des images de leurs proches laissés derrière, ou envoient des autoportraits à leur famille pour montrer comment ils se débrouillent en Europe. Alhassane sourit tant qu’il peut sur le chantier couvert de boue où il est traité en esclave moderne. Aminata montre une photo de la forêt dont la traversée à pied a été un calvaire qu’elle a tu à sa famille. Ces expériences terribles sont effacées par ce qui reste une “victoire courte, positive ou négative” : avoir réussi à traverser vivant.
Le film se termine par un hommage aux disparus en mer, dont ne subsistent que les images conservées dans les téléphones de leur proche qui ne savent où ils sont. Les portraits avec filtres de fleurs ou d’oreilles d’animaux, les selfies, les vidéos restent les derniers vestiges de ces existences oubliées.
Raphaëlle Pireyre
Espagne, France, 2020, 17 minutes.
Réalisation et scénario : Séverine Sajous et Anna Surinyach. Montage : José M. Val. Son : Chris Blakey. Images et participation : Aminata Camara, Mamadou Bamba, Yahya Makhtar, Mariam Sarr, Alhassane Traoré, Mohammed Bangura, Fatou Meïté, Massadjé Diomandé, Aïssatou Barry, Honoré Mbogos et Samuel Nacar. Production : Revista 5W.