Cahier critique 29/09/2017

“Boucle piqué” de Lila Pinell et Chloé Mahieu

Compétition et rivalités d’adolescentes dans le monde du patinage artistique ; une introduction au premier long métrage de Lila Pinell et Chloé Mahieu, “Kiss & Cry”, sorti en salles en 2017.

À qui n’envisagerait le patinage artistique qu’au prisme d’une retransmission télé, plusieurs films récents viennent nuancer le point de vue porté sur un sport que trop d’heures de petit écran ont bariolé de couleurs kitsch et paré de costumes grotesques.

Avec Boucle piqué, Lila Pinell et Chloé Mahieu n’hésitent pas à esquisser la fiction malgré leur statut d’observatrices. Suivant de jeunes patineuses de Colmar rêvant d’équipe de France, en stage au cœur de l’été, elles en isolent quelques-unes au gré de scènes de chambre, tout en complicité et chuchotements ou en filmant une escapade nocturne, dévoilement de coulisses où sentiments, irritation et rivalités s’expriment à vif.

Parallèlement, les séquences de patinage reposent sur la confrontation avec une figure de l’autorité : l’entraîneur. Celui-ci, Xavier Dias, personnage-pivot, inattendue “nature” de cinéma, impose cette éternelle question : comment ne pas laisser un personnage éclipser le reste des protagonistes et, plus largement, comment l’empêcher de phagocyter le film lui-même ? Boucle piqué, oscillant entre chronique adolescente et film de formation (Karaté Kid, Fame, ce genre de choses), échappe à cet écueil en gardant Dias, passée une saisissante scène d’ouverture, le plus souvent en off : avec sa voix haut perchée, ses mots crus visant à tirer le meilleur des plus motivées et à doucher les faux espoirs des plus velléitaires.

On se demandera souvent à quel point les piques lancées par l’entraîneur sont aussi destinées à la caméra, à quel moment il cesse de “faire le show” et dans quelle mesure le réconfort qu’il prodigue un temps à une élève en détresse est calculé (et monté) comme idéal contrepoint à une séquence d’humiliation où il obligeait une patineuse épuisée à refaire encore et encore une figure qu’elle ne maîtrisait pas. Le film interroge indirectement ce que l’on garde au montage, la façon dont la dramaturgie rattrape – parfois involontairement – la captation du réel. On ne saura jamais d’ailleurs si les scènes de chambre sont provoquées ou prises sur le vif, pas si loin parfois de la manière de Sophie Letourneur, d’une Tête dans le vide teenage ou d’un Roc et Canyon (autre film de colo) à la patinoire.

Les réalisatrices, se plaçant aux côtés des jeunes filles, assument le romantisme concomitant, veut-on croire, à un tel sport et à de tels protagonistes ; avec sa typographie en strass, son utilisation emballante de la musique pop, le film ne cesse de prodiguer à sa forme un élan, une énergie raccord non seulement avec l’adolescence, mais avec une discipline supposée allier grâce et vitesse.

Dans l’épilogue, pied de nez jovial à ce qui a précédé, la fiction l’emporte définitivement, les filles jouant, pour les réalisatrices, une chorégraphie parodiant une remise de trophée. Manière de suggérer que cela n'est pas si grave, que la vie continuera, sélection au “monde junior” ou pas. Et qu’à la fin, il y aura eu, pour toutes, un film. Un beau film.

Stéphane Kahn

Article paru dans Bref n° 113, 2014.

Réalisation et scénario : Lila Pinell et Chloé Mahieu. Image : Emma Augier. Montage : Thomas Bataille. Son : Lila Pinell, Chloé Mahieu et Steven Le Guellec. Production : Capricci.