Cahier critique 12/09/2018

"Blanquette" de Charlie Belin

Repas en famille : esquisses.

Il va de l’animation de Blanquette comme du stream of consciousness en littérature. Perçant l’espace blanc initial, les lignes, s’incarnant dans un travail de pleins et de déliés à l’évidence minimaliste, défient puis rendent à l’indistinct les pétillements d’une réalité globale, riche et plurielle. Avec agilité, un geste éclot, un regard suggère, une bouteille de vin rouge prend corps ; c’est un monde, enfin, où brille l’art du croquis et de l’esquisse, et qui, par touches, jaillit et instaure irrésistiblement un flux constant et singulier.

En effet, parce que le repas dominical conçu par Charlie Belin se déploie au travers d’astucieuses métonymies visuelles et témoigne d’une attention particulière portée à leurs enchaînements, la fluidité du point de vue s’infuse au cœur du temps qui passe et lui impose un rythme personnel. Les ellipses sont alors à même de se fondre dans un mouvement et les actions, libérées de la prédominance ordinaire du décor, se poursuivent dans un ballet continu où la subjectivité du regard modèle la réalité spatio-temporelle qu’elle met en lumière plutôt que de s’y contraindre.

Ainsi, pariant sur des effets d’association – formelle comme narrative – et de causalité, gommant malicieusement les ruptures en les intégrant dans l’esthétique même de ce cours fuyant doucement, les événements qui émaillent le repas se trouvent plongés dans un ronronnement douceâtre et familier : l’arrivée de la blanquette, le vin qui emplit les verres, les commentaires sur le plat, l’arrivée du dessert et son traditionnel café, etc. Le son, lui-même, finement sculpté pour insuffler vie à cette tablée, l’initiant même, tant sur un plan dramaturgique que créatif, invente l’art d’une continuité toute en ruptures. En effet, Charlie Belin ayant tiré profit de la matière sonore spontanée – quoique soigneusement enregistrée – de huit repas réunissant sa propre famille pour concevoir la trame de son film –, l’ambiance harmonieuse qui parcourt Blanquette se compose à partir d’éléments ponctuels qui s’entrelacent. Ainsi, faite de tintements de couverts et de voix qui s’interpellent et s’interrompent, persistent ou se perdent, la bande-son se fait alors garante d’un espace unique, clos et habité qui fait lien d’instant en instant.

C’est alors dans cette étroite – et néanmoins paradoxale – alliance du flux et de l’instantané, de l’unité de l’espace et de son extrême fragmentation que réside le charme particulier de Blanquette, jouant simultanément du détail et de son potentiel, du vide et de ce qui en saille : celui de l’évocation. Ainsi, parce que Charlie Belin esquisse plus qu’elle ne dépeint, convoque un rythme davantage qu’une histoire tenue et saisit un mouvement plutôt qu’elle ne fige un moment, elle accède à l’infini richesse du latent. En moins de cinq minutes, le court métrage embrasse ce temps qui passe, certes, mais plus encore ceux qui, en creux, se répètent et s’annoncent dans la tendresse des questions du grand-père, comme dans la ronde de ces traits aux allures lointaines de dessins de Sempé, où un profil, un geste, suffit à convoquer l’ensemble.

Cet espace laissé libre s’offre alors au spectateur : des souvenirs, similaires quoique différents, émergent comme la poursuite d’un trait, comme ces tâches de couleurs qui, sobrement, convoquent celles laissées blanches et s’évanouissent en un geste. Doucement, sans heurt, Blanquette prend corps puis se dissout, comme pour mieux étoiler la rêverie blanche et assoupie de la douce habitude.

Claire Hamon

  • Réalisation, scénario, image et animation : Charlie Belin. Montage : Catherine Aladenise. Interprétation : Françoise Weïss, Idelette Weïss, Muriel Weïss, Silvio Belviso, Lena Weïss, Charlie Belin et Leïla Belviso. Production : La Poudrière. 

 

Rencontre avec Charlie Belin au Festival national du film d'animation en 2017