Cahier critique 11/05/2021

“Blaké” de Vincent Fontano

Deux vigiles dans un parking souterrain d’un immeuble de bureau surveillent de belles voitures. Le parking est vide et la nuit risque d’être longue. Pour se tenir compagnie, ils évoquent leurs philosophies, leurs blessures, leurs rêves. Vincent, le plus jeune des vigiles, est persuadé de vivre une grande histoire d’amour avec une belle jeune femme qu’il raccompagne chaque soir à sa voiture dans le parking. Mais on ne fantasme pas impunément, surtout dans un parking vide, où le rêve et le réel s’entrechoquent.

Deux vigiles veillent le soir dans un parking souterrain. Vincent Fontano, réalisateur et acteur principal, filme un métier en allant à l’encontre des préjugés et fait prévaloir la sensibilité contre l’amertume. Si ces deux gardiens veillent au grain, l’un d’entre eux – geôlier de ses peines amoureuses – veille surtout à préserver son humanité. 

Le film de Fontano, aux multiples distinctions (dont le Prix France Télévisions du court métrage en 2020), conte un monde interlope, celui des parcs de stationnement aux heures les plus reculées, le lieu où les rêves de ces deux gardiens viennent s’entrechoquer sur le béton râpeux. Ce souterrain, temple pour les voitures de luxe et sorte de grotte fantasmagorique, serait une allégorie des songes enfouis au fond des âmes fébriles. Les éclairages tamisés viennent ainsi sonder la conscience au rythme languissant d’une marche presque somnambulique. Le réalisateur cite volontiers In the Mood for Love de Wong Kar-Wai comme référence, ici dans une balade plus abrupte. La réalisation se veut stylisée et théâtrale : regard caméra, effets de lumière visibles (photographie de Shadi Chabaan) allant des effusions de rouge aux néons blêmes. Le parking est un espace profondément cinématographique (lieu de rencontre anonyme ou frauduleux, voire effrayant). Il est le miroir des émotions et des sensations enterrées. Blaké met en scène, dans cette étendue scénique/symbolique des contradictions, le mouvement et l’immobilité, le réel et le rêve ou encore l’amour et la rage. Comment surveiller dans un état d’endormissement moral ? Dans les interstices du court métrage se dessine la société réunionnaise, sa situation sociale déplorable et l’exploitation des corps (la prostitution, la violence et la pauvreté). 

Blaké est aussi un film sur les flots de paroles, la conversation ou le monologue, le déversement de la langue poétique du créole pour combler les silences assourdissants des nuits sans fin. La lutte contre le sommeil amène une autre temporalité, celle du glissement narratif, avec des formes d’échappatoire possibles : les chimères, la passion et l’imagination, pour contrer l’absurdité de l’attente, où rien n’advient si ce n’est les grandes espérances. On pense à Roland Barthes dans son œuvre-phare Fragments d’un discours amoureux : “Suis-je amoureux ? – Oui, puisque je l’attends. L’identité fatale de l’amoureux n’est rien d’autre que : je suis celui qui attend.” Ainsi, la figure du vigile, serait celle de l’amoureux par excellence. C’est tout le projet de Fontano : capter le cœur plutôt que le corps. 

William Le Personnic 

France, 2019, 23 minutes
Réalisation et scénario : Vincent Fontano. Image : Shadi Chaaban. Montage : Guillaume Saignol. Son : Julien Verstraete. Musique originale : Jako Maron. Interprétation : David Erudel, Vincent Fontano et Lolita Tergemina. Production : We Film.