Cahier critique 31/10/2018

"Bergère qui danse" de Michel Ocelot

Une fée et un conte avec des couleurs, de la musique et de la danse. 

Il faudrait toujours pouvoir retourner en enfance et goûter à nos plaisirs passés, redorés par notre goût du jour. Les courts métrages de Michel Ocelot sont des bijoux que l’on prête aux enfants, mais que l’on donne aux adultes pour qu’ils comprennent et apprécient différemment leur parfum. Bergère qui danse, aussi fine et douce qu’une gravure, conte l’histoire d’un berger prêt à tout pour rester fidèle à sa belle. Le court métrage nous transporte dans un monde onirique en négatif où le paysage, les personnages et la musique investissent l’image en harmonie. 

Comme dans les Kirikou ou Dilili à Paris (sorti en salle cet automne), le traitement du son passe, certes, par la mélodie, mais aussi par le travail minutieux de la diction. La voix claire des personnages soutient un texte qui nous fait goûter la langue française et nous rappelle ses nuances et sa beauté. La musique et les voix se complètent, les secondes prolongeant la première comme dans un conte musical. Les images répondent à cette clarté par une simplicité efficace. Le seul contour des ombres chinoises suffit à suggérer les traits des personnages. Les choix du cadre et de l’échelle de plan évoquent à eux seuls une émotion. Un œil rétrécit et on sent la colère pulser dans les veines, on voit les sourcils froncés. Après la proposition d’une fée de l’emmener dans son palais, le berger est cadré avec la bergère, mais tout au bord, si bien qu’il est coupé par l’image. La jeune fille est vraiment au centre et le regarde, on perçoit ainsi la jalousie passagère et la peur qu’on lui enlève son joueur de flûte.

L’épuration des traits n’empêche pas un réel faste dans l’image, où le contraste entre les ombres et la lumière approfondit le noir de jais et embellit les couleurs miroitantes. Le soleil n’en finit pas de se coucher sur les arbres pour nous faire profiter du crépuscule. Bergère qui danse, qui rappelle les Contes de la nuit et leur enchantement, nous charme et nous amuse par la candeur du garçon face au mépris de la fée. L’art de Michel Ocelot nous transporte dans un monde qui nous appartient aussi un peu parce qu’on l’a rêvé. Il est une échappatoire, une brèche où s’engouffre notre esprit pour imaginer le monde, la nuit. Michel Ocelot prend les ombres de nos rêves et leur donne un écrin. Il nous prouve que l’art, dont la danse et la musique, de la même manière qu’il réveille le berger d’un sommeil centenaire, peuvent nous libérer de notre routine journalière.

Anne-Capucine Blot

Réalisation et scénario : Michel Ocelot. Montage : Michèle Péju. Musique : Alain Marchal. Animation : Pascal Lemaire, Lionel Kerjean et Georges Sifianos. Décors : Michel Ocelot et Inni Karine Melbye. Interprétation : Sophie Edmond, Monique Messine, Cyrille Artaux, Éric Bottom, Philippe Destre, Pierre Jarillon et Patrice Leroy. Production : Studio O.