Cahier critique 23/11/2021

“Belle à croquer” d’Axel Courtière

Oscar Mongoût, cannibale gourmet, brûle d’amour pour sa voisine d’immeuble, la très végétale Mlle Carotte. Cette passion semble vouée à l’échec : elle est végétarienne tandis qu’il souffre d’une phobie totale des légumes. Tout bascule le soir où elle l’invite à dîner.

Une phrase, et une seule, est prononcée tout au long de Belle à croquer. “Sois un homme…”. Le conseil, ou plutôt l’ordre, est donné par un “ange des amours impossibles” campé par une Catherine Deneuve de passage, dont la présence à l’écran n’excède pas quelques secondes, sanglée dans une insolite tenue immaculée de catcheuse. L’imaginaire (?) matrone s’adresse ainsi au protagoniste principal du conte, Oscar Montgoût, un médecin aimant particulièrement la chair. Au point de trucider ses girondes clientes pour les incorporer à ses bouchères compositions culinaires. Mais ce cannibale bien propre sur lui est fou d’amour pour sa voisine de palier, Mademoiselle Carotte, végétarienne pure pulpe, qui ne se nourrit que de légumes, envers lesquels le docteur Montgoût a une sainte horreur…

Ayant travaillé durant cinq ans sur le projet, Axel Courtière s’est délecté de mélanger fiction et animation dans un univers stylisé aux couleurs vives – les rose, vert et orange sont pétants – et selon le parti pris assumé de l’hommage à un cinéma muet volontiers fantasmé, à travers des cartons, une (quasi) absence de dialogues déjà évoquée et une direction d’acteur citant les codes de ces âges pionniers (le choix de Sylvain Dieuaide étant en ce sens judicieux). Un tel registre, tendant vers le burlesque, a été exploré de loin en loin et l’on se souvient durablement de quelques réussites, des Aventures romantiques et extraordinaires de Monsieur Foudamour. La lune promise, de Kram et Plof (1993), à Luminaris de l’Argentin Juan Pablo Zaramella (2011).

Jouant avec le motif d’une périlleuse conciliation – entre pro et anti-vegans (si toutefois il en existe) –, Belle à croquer s’avance sur le terrain de la comédie romantique en son cœur en intégrant un trip halluciné plus inattendu. La séquence correspond à un cauchemar de Montgoût, épouvanté par la perspective de devoir ingurgiter de la verdure et se retrouvant piégé dans les tréfonds d’un vertigineux Métropolis de la carotte. Le film intègre aussi, gentiment, des bribes d’effets gore en stop-motion, avec des jets d’hémoglobine et de viande hachée façon pâte à modeler Play-Doh. Juliette Marchand, entre autres réalisatrice de Tempête dans une chambre à coucher (209), a assuré le volet animation à l’intérieur de cette fiction hybride légère et ludique, rythmée par un morceau aux accents gainsbourgiens sur lequel peut se déhancher Éloïse Carotte, qu’incarne la sémillante Lou de Laâge, vue récemment dans Boîte noire, de Yann Gozlan.

Christophe Chauville

France, 2017, 15 minutes.­
Réalisation
: Axel Courtière. Scénario : Axel Courtière et Magali Pouzol. Image : Kanamé Onoyama. Montage : Flora Volpelière. Son : Charlotte Butrak, Ludovic Jokiel et Olivier Pelletier. Musique : Érik Wedlin. Interprétation : Sylvain Dieuaide, Lou de Laâge, Ophélia Kolb et Catherine Deneuve. Production : Axel Courtière, Les Fées Productions et Offshore.