Cahier critique 11/04/2018

“Beau papa” de Victor Saint Macary

Un déjeuner de famille tourne au vinaigre, par le réalisateur d’"Ami-ami", en salles prochainement.

Les quelques mots qui ouvrent la parenthèse caustique qu’est Beau papa de Victor Saint Macary ne sauraient être plus limpides : la réalité est encore et toujours une manne pour la fiction. Volontiers excessif, lorgnant de temps à autre du côté du burlesque sans renoncer toutefois aux échanges de regards glaçants aux accents plus dramatiques, le court métrage enjambe les registres pour saisir – non sans humour – cet instant aussi étrange qu’incontournable qu’est la rencontre de la belle-famille par l’amoureux : piochant dans chaque genre pour le plaisir allègre du clin d’œil, il ne se conforme cependant à aucun, se faisant fort de bâtir son propre univers, où les situations sont libres d’osciller entre grotesque et terrifiant, où l’exubérance recouvre potentiellement des abîmes, où le rire, enfin, est curieusement et réciproquement lié au malaise. Et en effet, de l’arrivée des personnages sur le parking de la gare à leur disparition-miroir derrière les portes de ce même bâtiment, c’est un monde que l’on explore.

Pourtant, c’est d’abord parce que ce qui nous apparaît nous semble familier qu’un instinctif sentiment d’étrangeté point ; du trajet en voiture à l’astucieuse cartographie de la maison familiale, c’est le commun qui côtoie et révèle l’inconnu, les relents du vécu du réalisateur, tout à la fois mêlés d’universel et de curiosités, qui intriguent et instaurent dans le récit la vibration légèrement dissonante de cette tension entre réel et fiction. Ainsi, à l’usage habituel et commun de chaque espace (la cuisine pour cuisiner, la cave pour stocker les bouteilles de vins, etc) s’ajoute une myriade de rituels personnels propres à la belle-famille, parfois insolites, jamais complètement fantaisistes, qui, s’accumulant, creusent progressivement le gouffre entre les intimes – initiés – et la pièce rapportée, François, qui les ignore. Une à une, les pièces de la maison s’égrainent tandis que la contenance de celui-ci se dissipe : la cuisine et l’incontournable tranche de jambon affiné excite la soif due à sa nuit d’ivresse, la cave devenue pure expression égotique du maître des lieux est prétexte d’humiliations pour ce rival potentiel, le jardin et sa viande saignante à l’extrême éprouve sa volonté… Se succédant comme autant de niveaux à la difficulté croissante, dans une indéniable escalade de cruauté, l’ambiance flottante et instable imprégnant le film – qui mêle rires aux éclats, insistance excessive et apostrophes agressives – s’ingénie cependant à brouiller les frontières, à mettre en doute la duplicité du beau-père, enrobant sous un glacis d’humour le caractère odieux des comportements.

Et c’est justement dans cet équilibre vacillant que s’exprime le mieux le cinéma de Beau papa, maniant avec art l’ambiguïté en germe de l’image en mouvement qui, mimant le monde, n’est toujours que l’expression d’un regard, perçant ou percé, perçant et percé. Celui de François/Victor Saint Macary, partiel, parvient finalement à déceler la faille ceignant ce petit monde, inversant alors le rapport de force, renversant les effets des pôles antagonistes que sont le réel et la fiction, le rire et le malaise – désormais, c’est le malaise qui engendre le rire –, la présence spectrale de la belle-mère – performance remarquable de Marie-Christine Adam – dévoilant alors toute l’intensité de son aura le temps de quelques mots aussi péremptoires que puissants. Pointe fixe, inébranlable, dans ce cinéma où rien n’est jamais tout à fait établi, où une parenthèse, même, vibre encore une fois refermée.

Claire Hamon

Réalisation et scénario : Victor Saint Macary. Image : Julien Meurice. Montage : Géraldine Mangenot. Son : Nicolas Bouvet, Rémi Daru et Marc Doisne. Interprétation : Jonathan Cohen, Ana Girardot, Luc-Antoine Diquéro et Marie-Christine Adam. Production : Révérence.