"Bad Gones" de Stéphane Demoustier
Un air de Ken Loach en banlieue lyonnaise.
Bad Gones a été réalisé en 2011. Il y a moins de dix ans ; une éternité au regard de la prolifique carrière de Stéphane Demoustier, producteur à Année Zéro et réalisateur comptant aujourd’hui à son actif, en solo, pas moins de sept courts ou moyens métrages (Dans la jungle des villes, Des nœuds dans la tête, Bad Gones, Filles du calvaire, Petits joueurs et Allons enfants) et deux longs métrages (Terre battue et La fille au bracelet).
Le titre anglais de ce film français s’explique au détour d’un plan situé quasiment à la fin : c'est le nom de guerre que des supporters de l’Olympique lyonnais se donnent et dont on aperçoit la bannière dans le virage de la tribune du stade dans lequel les deux personnages principaux (un père et son fils) parviennent in fine à entrer.
Être ou ne pas être à l’intérieur du stade, telle est la question et la difficile équation à résoudre pour ce père, plutôt fauché, qui a promis à son fils d’aller voir le match. Tel est le pitch de Bad Gones, un film que l’on peut concevoir comme un drame sur la misère sociale, avec son image taillée au carré pour la télé, ses couleurs dépassées, ses personnages habillés chez Guerrisol, sa voiture utilitaire d’occasion, ses décors périurbains populaires et son sujet dramatique et social. C’est gris, c’est triste et on aurait presque envie d’écrire au réalisateur une lettre de protestation tant on trouve inadmissible de se faire manipuler par le regard d’un enfant (le pauvre !) plongé dans un drame qui a pour pilier ce personnage de père un peu idiot qui a oublié d’acheter les billets pour le match quand ceux-ci étaient encore à un prix accessible… Encore une “fiction de gauche” qui enfonce le clou du martyr ? Pas faux. Mais pas entièrement vrai non plus. Car voilà, si le drame social est là, il constitue une toile de fond, une sphère, un espace, un terrain de jeu sur lequel Demoustier dessine un joli conte – amoral, puisqu’il s’agit de feinter pour gagner – dominé par la relation père-fils.
Bad Gones est peut-être moins un drame social qu’une histoire de famille, de “mauvais os”. C’est moins un film naturaliste qu’un film de personnages au sens où ce sont les mystères des humains (et non la mécanique sociale) qui intéressent le réalisateur. Le père est-il bon ou mauvais ? Et l’enfant ? Où se trouve la mère ? Pourquoi le père a-t-il fait une telle promesse ? Peut-on, doit-on contrarier le désir d’un enfant ? Qu’est-ce qui définit la relation père/fils : est-ce l’autorité, la contrariété ou le temps, une parenthèse dans le temps, passée ensemble ? On pourrait multiplier les questions. Ici, comme dans La fille au bracelet, il est plus intéressant de les poser que d’y répondre ; le mystère reste entier. C’est toute la puissance de la forme courte, puisque limitée, de parvenir ici à flirter avec l’infini. À l’intérieur du stade (qui métaphorise l’inclusion sociale) ou à l’extérieur, la relation familiale, les liens père/fils ne sont jamais remis en question. Il y a quelque chose du conte ou de la magie de Noël : un pur mélodrame. Au-delà de l’écriture et de sa mise en scène, ce film s’appuie également sur le talent de ses interprètes, le très rare Cyril Troley, et, dans le rôle de l’enfant, Mattéo Lloret, dont c’est à ce jour la seule présence sur grand écran.
Donald James
Réalisation et scénario : Stéphane Demoustier. Image : Benoît Rambourg.
Montage : Damien Maestraggi. Son : Emmanuel Bonnat, Francis Bernard et Vincent Verdoux.
Interprétation : Cyril Troley et Mattéo Lloret. Production : Année Zéro.
Entretien avec Stéphane Demoustier - Mèche Courte :