Cahier critique 02/11/2021

“Bachar à la ZAD” de Pierre Boulanger

Adil et Bilel n’ont jamais entendu parler de Notre-Dame-des-Landes avant d’accepter l’idée d’y faire un court séjour. Originaires de Grigny en banlieue parisienne, ils découvrent sur la ZAD une conception du “vivre-ensemble” qui leur est tout à fait étrangère et qui les conduit à questionner leur rapport à la société et à l’engagement politique...

Le titre de ce court métrage documentaire est une boutade lancée en introduction du film. De cette manière, les deux personnages principaux, Bilel et Adil, désamorcent d’emblée et avec humour l’aspect surplombant que pourrait revêtir la démarche du réalisateur si elle se résumait au titre que propose d’abord Bilel avec dérision : “Les Arabes à la ZAD”. Et en effet, si l’on sourit du scepticisme que leur inspirent les toilettes sèches lors de leur arrivée à Notre-Dame-des-Landes, le film gagne peu à peu en profondeur en s’inscrivant dans un temps long et un aller et retour entre la ZAD et la ville de Grigny, dans l'Essonne, où vivent les deux amis.

Ce temps long est aussi celui de la rencontre et du lien tissé avec ces jeunes Grignois, puisque Pierre Boulanger avait déjà mis en scène Bilel Chegrani dans une fiction intitulée Bye bye les puceaux (2017), produite par l’association 1000 visages. Cette structure qui s’inscrit dans une démarche de transmission et de création collaborative avec de jeunes gens de banlieue, avait également produit le court métrage de fiction Goût bacon d'Emma Benestan (2016), dans lequel apparaissaient pour la première fois Adil et Bilel. On découvrait alors leur complicité  et la complémentarité entre l’un, calme et posé, et l’autre, plus vif et impulsif, tous deux formant un véritable duo de cinéma, avec un indéniable talent pour la comédie.

Si l’on retrouve dans Bachar à la ZAD cette légèreté et le goût pour la répartie dont témoigne le titre, le ton du film se fait peu à peu plus réfléchi, puis plus grave. Au lendemain de la fête qui célèbre l’abandon du projet d’aéroport, les deux amis se retrouvent en effet dans un moment de contemplation et de réflexion qui se prolonge au retour dans la voiture puis, un an plus tard, lorsque le réalisateur revient avec des images de l’évacuation de la ZAD qui a suivi de peu leur voyage à Notre-Dame-des-Landes.

Peu à peu, le film s’éloigne ainsi de l’expérience sociologique qui consiste à observer ce que provoque l’immersion d'individus dans un milieu qui leur est étranger, ressort bien connu de la comédie au cinéma. Non seulement les deux personnages ne sont plus étrangers à la ZAD et aux questions politiques qu’elle pose, mais Adil et Bilel tissent des liens entre leur expérience et celle qu'ont vécue les zadistes au moment de l’évacuation. Les corps ont mûri, les esprits aussi, et c’est finalement l’émergence d’une conscience politique que le film nous donne à voir.

Anne-Sophie Lepicard

France, 2020, 21 minutes.
Réalisation : Pierre Boulanger. Image : Florian Berthellot. Montage : Justine Roussillon et Matthieu Ruyssen. Son : Antonin Guerre, Clément Badin et Victor Praud. Production : Topshot Films.