"Babel" d’Hendrick Dusollier
Aller simple vers un futur complexe...
Dans son remarqué Obras (2006), Hendrick Dusollier s'intéressait à Barcelone, dont il montrait, en accéléré, les transformations et les destructions. Au centre de Babel, film d'animation faisant intervenir des acteurs, une métropole chinoise et une histoire d'amour. Deux jeunes paysans s'aiment à la campagne. Elle s'en va pour la ville aux bras d'un homme puissant ; il la suit et rejoint la masse des ouvriers précaires.
Les genres ici se mélangent. Babel est inscrit dans une réalité, celle des différences entre classes sociales, du décalage entre la ville et la campagne. Les sons vraisemblables sont parfois précis, les images conformes à ce que nous connaissons. Coexiste à cela la science-fiction, vecteur d'un monde mouvant, flamboyant et tragique. Les luminosités varient, du rougeoiement du soleil couchant au gris menaçant de l'orage, du sépia qui baigne les champs au bleu céleste au-dessus d'un gratte-ciel. Les êtres fourmillent : dense circulation, masse déambulant dans une galerie commerçante, ouvriers qui s'échinent sur des chantiers... Notre regard se perd dans la profusion de lignes, de formes ; nous éprouvons le vertige de cette ville qui ne s'endort jamais. La caméra épouse cette agitation. Qu'elle vole dans l'espace à toute vitesse ou prenne le temps d'un lent travelling, vertical, horizontal, elle explore les lieux, les gens et les diverses façons de les filmer, alors accompagnée par une musique électro planante.
Par ce mélange de réalisme et de science-fiction, Babel évoque les mutations rapides que traverse la Chine. En un quart d'heure, nous passons du monde agraire, calme et traditionnel, à la frénésie consommatrice de la métropole. Frénésie qui cohabite avec la mort, celle des vieux bâtiments qu'on ne cesse de détruire, et du monde obsolète dont ils sont le vestige.
C'est dans cet univers que s'inscrit la belle et sombre romance. L'homme et la femme semblent s'aimer si fort qu'ils ressentent l'existence de l'autre, même s'ils ne peuvent l'apercevoir. Lorsque leurs regards se perdent, depuis la tour d'ivoire pour elle, depuis un taudis pour lui, c'est vers l'autre qu'ils se dirigent. La mélancolie des personnages, le fait que la femme, surplombant la ville, domine le monde qui écrase l'homme, fait de cette histoire-là une histoire triste. Elle est sublime aussi, parce que la relation n'a pas besoin de communication, langagière ou visuelle, pour exister, mais qu'elle réside dans la communion en absence, dans la rencontre immatérielle de deux pensées.
Marion Pasquier
Article paru dans Bref n°96, 2011.
Scénario, réalisation, image, montage et animation : Hendrick Dusollier. Son : Hendrick Dusollier, Jean-François Viguié, Vincent Pateau et Guillaume Leriche. Musique : Jean-François Viguié. Interprétation : Xiao Peng, Tian Chao et Zhang Chi. Production : Studio HDK Productions.