Cahier critique 08/11/2022

“Avant que de tout perdre” de Xavier Legrand

Un jeune garçon fait mine de se rendre à l’école et se cache sous un pont. Une adolescente en larmes attend prostrée sur le banc d’un arrêt de bus. Une femme vient les chercher tour à tour et les conduit sur le parking d’un hypermarché.

Il est assez rare, à Clermont-Ferrand, qu’un film récolte autant de prix que le fit cette année (en 2013, ndlr) Avant que de tout perdre (Grand Prix, Prix du public, Prix de la jeunesse, Prix de la presse Télérama). Face à un tel engouement – rassemblant ceux dont on dit les goûts dissemblables (un jury de professionnels, le public, la presse) –, on s’attend, pour le moins, à un chef-d’œuvre. Ce qu’Avant que de tout perdre n’est pas. C’est un bon film, et ce n’est déjà pas mal.

Récit de fuite tendu, circonscrit à un moment de bascule et à un espace où tout se joue – une matinée, un centre commercial –, le film résonne en négatif du très estimable premier long d’Estelle Larrivaz, Le paradis des bêtes, sorti l’an dernier (en 2012, ndlr). Les deux s’appuient sur un socle sociologique cinématographiquement peu engageant pour s’orienter vers autre chose que le film-dossier redouté : le conte initiatique pour Larrivaz, le thriller pour Legrand. Si l’homme-ogre du Paradis des bêtes enlevait ses deux enfants, c’est, dans Avant que de tout perdre, une mère-courage interprétée par Léa Drucker qui décide de tout plaquer pour échapper à l’emprise de son mari et sauver ses enfants.

Le récit refuse pourtant le romantisme de la fuite et se concentre sur un entre-deux ingrat ponctué par les démarches que l’héroïne, caissière dans un supermarché, doit accomplir auprès de son employeur (formaliser un licenciement, ouvrir un nouveau compte bancaire), par les gestes de solidarité contrite d’ex-collègues qui la couvrent. Que s’est-il passé avant ? Que se passera-t-il après ? On n’en saura rien. On ignore d’ailleurs si le succès du film donnera à ses producteurs l’envie d’en développer une version longue, mais on imagine bien aussi dans quels écueils celle-ci pourrait verser...

L’action, ici, prend un tour inattendu et c’est dans ce choix de filmer le moment où une décision mûrement réfléchie se précipite en actes administratifs – choix qui n’est peut-être dû, après tout, qu’à la nécessité d’opérer dans un format réduit – que se niche une allure de film à suspense où la stricte mise en scène l’emporte finalement sur le message ou sur les bons sentiments (dans la deuxième partie du film particulièrement). Il suffira ainsi de la brève crise de panique d’un petit garçon apprenant que son père est entré dans le supermarché pour comprendre, imaginer, de quoi fut fait le quotidien du trio en cavale. Film d’actes brut, Avant que de tout perdre n’a pas le temps de verser dans la psychologie et c’est sa chance. Il file entre couloirs, escaliers de service, réserve, bureaux et parking, à bout de souffle, parenthèse arrachée à l’avant et à l’après d’une histoire plus complexe, celle que le réalisateur a choisi de nous taire...

Stéphane Kahn

Article paru dans Bref n°107, 2013.

Frznces, 2012, 30 minutes.
Réalisation et scénario : Xavier Legrand. Image : Nathalie Durand. Montage : Yorgos Lamprinos. Son : Julien Sicart, Vincent Verdoux et Aymeric Dupas. Interprétation : Léa Drucker, Lilia Abaoub, Anne Benoît, Miljan Chatelain, Mathilde Auveneux et Denis Menochet. Production : KG productions.