Cahier critique 27/01/2021

“Automne malade” de Lola Cambourieu et Yann Berlier

Perturbée par la maladie de sa mère, Milène quitte Paris pour préparer l’ENA. Venue chercher le calme dans une ferme auvergnate, elle peine pourtant à se concentrer. La campagne alentour et la rencontre de Momo lui font oublier ses soucis. Mais l’automne arrive et le temps est compté.

On ne s’étonne pas d’apprendre que la société de production créée par les auteurs d’Automne malade s’appelle Réalviscéralisme tant leur film touche à cet endroit précis : les viscères. Avec son titre emprunté à un poème d’Apollinaire, cet objet aussi brut que gracile dresse en touches savamment dispersées le portrait d’une jeune femme, Milène, dans les jours qui précèdent la mort de sa mère. Outre ce deuil à venir, Milène prépare, bille en tête, le concours de l’ENA. Pour fuir un Paris où elle n’a pas d’amis et cette mort qui plane, elle se réfugie dans une maison familiale du Cantal. Ce n’est pas tant une mise au vert qu’au gris.

Dans ces paysages calmes et mornes éclairés par les mois “en -bre” de la fin d’année, Milène emmitoufle tant bien que mal son esprit studieux mis à rude épreuve. Au fil des moments partagés avec ses voisins, l’âpreté pleine de finesse de cet Automne malade évoque immédiatement le travail de Maurice Pialat, les affinités qu’il nourrit avec l’improvisation, le choix de comédiens amateurs, le surgissement parfaitement saisissant de l’authenticité. Ni fiction ni documentaire, mais les deux à la fois : les lignes frontalières sont ici gommées pour ouvrir un autre espace éminemment dense.

Les réverbères jettent des halos dans la nuit qui tombe trop tôt sur les rues désertes. Milène réchauffe son cœur aux conversations animées à table, autour de confidences partagées avec un nouvel ami du voisinage. Est-ce un ami de la famille, est-ce un nouvel amant ? On ne sait pas trop. Ce que l’on sait, ce sont ces liens qui se tissent à côté de la gazinière, protégés par le cocon des vieilles pierres de la maison, le vin, les grosses mains et le vieil évier, la tendresse qui ricoche de part et d’autre de la table de bois, où l’on s’apprend des rudiments de morse. Les marasmes sont quelque part hors champ et dans le visage de la comédienne, ils cohabitent pleinement avec l’attention formidable qu’elle manifeste à son environnement, aux autres comme à la nature. Dans chaque plan, la mort imminente, la solitude et l’acharnement au travail côtoient la joie, et le désir de lien. Pourquoi d’ailleurs l’ENA? On ne sait pas trop non plus, et cette façon de poser, mine de rien, la question de l’ambition en termes philosophiques fait l’un des points de fuite étonnant et saisissant du film. Au repas, Milène parle de l’institution sans plus, la met sur le même plan que la confection des fagots de haricots ou de bois. Il semble ne s’agir pas tant de désirer à tout prix l’élite que d’une manière de se heurter au vivant par le biais du travail. Jonglant entre voix off et images Super 8, le film s’offre des bifurcations formelles entre présent et souvenirs, s’entrecoupe d’images familiales en pellicule, qui ne sont autres que les films de famille de l’interprète et amie, Milène Tournier. Les films autoproduits du duo Berlier/Cambourieu ont été accueillis dans des sections festivalières comme Diagonales (à Premiers plans, à Angers, 2020) ou Contrebandes (au FIFIB, à Bordeaux, 2020). Des termes raccords pour accueillir ces trente minutes qui racontent formidablement bien à quoi peut ressembler, parfois, le métier de vivre.

Cloé Tralci

Réalisation, scénario, image et montage : Yann Berlier et Lola Cambourieu. Musique originale : Jean-Noël Horvais. Interprétation : Milène Tournier, Michel Maciazek et Alexandra Ordroneau. Production : Réalviscéralisme.