Cahier critique 23/10/2019

"Aurore" de Maël Le Mée

Je t’ai dans la peau !

Aurore fait partie d’une collection de courts métrages initiée en 2017 par SoFilm et visant à encourager la création de courts métrages de genre français (l’initiative n’est pas totalement neuve, vu que le diffuseur, Canal+, a œuvré à plusieurs reprises dans ce sens, tant au niveau de la production que de la programmation de ces œuvres par le passé). Le format court ne permet pas de longs développements pour expliquer comment et pourquoi une “chose’” apparemment incongrue ou dérangeante arrive : le spectateur entre immédiatement en contact avec la déviance ou l’anomalie et en découvre les conséquences pour le sujet et son entourage. On est, dans les meilleurs films, immédiatement plongés dans le vif du sujet, de l’obsession ou de la transgression.

La jeune Aurore, seize ans, constate qu’elle peut pénétrer sans douleur sous sa peau et toucher sa chair, son intériorité, avec ses doigts. Elle est très légèrement perturbée, mais sans excès (un peu comme si elle venait d’avoir ses premières règles). Bien sûr, on pense au thème de la nouvelle chair développée par David Cronenberg au début de sa carrière, mais avec l’élément science-fictionnel en moins, et un désintérêt total pour la technologie.

Depuis la régression des thèmes néogothiques dans le cinéma fantastique international de ces trente dernières années, les cinéastes explorent un fantastique urbain, plutôt existentiel, intimiste, souvent très référentiel et en phase avec les courants contemporains du genre.

En faisant l’amour avec son copain Arnaud, Aurore l’initie à cette dimension supplémentaire du désir. Il pense d’abord à une anomalie et conseille à la jeune fille d’aller consulter un médecin : celle-ci lui répond qu’elle n’est pas malade. Et le garçon accepte, suivi des amies d’Aurore, ce nouveau pouvoir palpable de l’adolescente. Comme l’explique le réalisateur Mael Le Mée : “La question fondamentale d’Aurore est celle du désir en articulation avec celui de l’autre. Un désir inconnu jusque là, à explorer ensemble, à la mesure de chacun.

L’acte de pénétration acquiert, dans le film, une autre dimension que celle liée à la contamination ou à la crainte (ou le souhait) de devenir enceinte. La pénétration des chairs se double, chez la jeune fille, par l’apparition d’un second mamelon sur un de ses seins, qui deviendra objet d’une convoitise supplémentaire pour Arnaud.

Cette potentialité physique n’est pas le simple marqueur d’une sexualité différente (mais cela pourrait l’être), mais s’avère également être le bref feuilletage d’un nouveau roman d’apprentissage. En définitive, Aurore est plus un film obéissant à une tradition naturaliste du cinéma français (qui va de Pascal Thomas à Maurice Pialat) plutôt qu’à la nouvelle tradition fantastique nationale, celle qu’a ouverte Pascal Laugier par exemple. Tout y est limpide, ici, sans surcharge et, aussitôt entrevu, le trash s’étiole et disparaît.

Raphaël Bassan

Réalisation et scénario : Mael Le Mée. Image : Raphaël Vandenbussche. Montage : Aurélien Guégan. 
Son : Maxime Berland, Alexandre Hecker, Thomas Fourel et Antoine Bailly. Musique originale : Amaury Chabauty. 
Interprétation : Manon Valentin, Lorenzo Lefebvre, Fiorella Campanella et Nathan Bensoussan.
Production : Bobi Lux, Capricci Films SoFilm.

Avec le soutien de la 

Entretien avec Amaury Chabauty, compositeur du film Aurore de Mael Le Mée :